La Marmotte du Pelvoux, histoire vraie.
Le 23 juillet 1996, nous montons dormir au refuge du Sélé en Oisans. Le matin le gardien ne nous réveille pas, le tonnerre gronde,
il pleut en abondance, tout le monde dans son sac de couchage est déçu. Nous avions l’intention de faire les Bœufs Rouges avec Anne-Laure. Dans la matinée une superbe éclaircie se profile alors
on dit au gardien que l’on va tenter de monter au moins au Col de Sélé. La montée se fait entre deux nuages, mais arrivés au Col à peine le temps de
voir le glacier de la Pilate sur la face Ouest, qu’un vent fort nous oblige à descendre en vitesse. On ne tient même pas debout sur la crète. On n’a pas fait les premières grandes enjambées vers
le bas que de lourds nuages noirs tombent sur les derniers gendarmes et clochetons en vue. L’atmosphère est électrique. Il faut s’éloigner au plus vite de l’arête. Au milieu du glacier les
premiers éclairs pilonnent le rocher plus haut. Il ne fallait pas s’attarder.
Col du Sélé 23 juillet 1996
C’est trempés qu’on rentrera au refuge. Dans l’après-midi une bonne éclaircie nous permet de rejoindre la vallée et : c’est là, à la jonction du sentier du Pelvoux que sur un rocher nous
attend la « Marmotte » Mythique dont on nous avait parlé : la « Marmotte du Pelvoux ». Ce n’est pas la Dame Blanche du Lautaret, ce n’est pas le Dahu d’Albiez-le-Vieux, ce n’est pas non plus la Vouivre de l’Iseran, non : c’est la « Marmotte du Pelvoux ».
Embranchement Pelvoux Sélé 23 juillet 1996
Elle attend sur le rocher au bord du sentier caillouteux.
On s’arrête, on parle à voix basse, on a peur de la faire fuir, on propose des stratégies toutes aussi audacieuses les unes que les autres pour l’approcher, la photographier, ne pas lui faire
peur. Les sacs sont mis à terre avec une lenteur d’escargot, nos respirations s’arrêtent, nos gestes se font de plus en plus lents. On s’accroupi, on sort l’appareil photo, pas de numérique à
l’époque, il faut armer la pellicule, encore un geste de trop et on va la faire fuir ?
Non, et non car c’est
la Marmotte du Pelvoux, elle se retourne, descend de son rocher, fait quelques pas vers nous, lève la tête, s’approche encore, et sa petite main presque humaine se tend vers nous en quête d’un
biscuit. Anne-Laure lui tend un morceau de cracotte qu’elle prend de la main à la main et se laisse même gratter le front entre les deux yeux, puis repart tranquille et nonchalante sur son rocher
dans l’attente d’un autre randonneur……
…………21 juillet 2006, Emma Sébastien et moi arrivons sur le parking bondé du pré de Madame Carles. Il est difficile de trouver une
place. Notre projet est de faire la Roche-Faurio avec une nuit au refuge des Ecrins, dans le cadre de notre préparation au Mont Blanc. Au bout du
champ, il reste quelques places entre deux automobiles, la fréquentation est intense par cet été radieux. Lors de la manœuvre j’aperçois sous les voitures , une ombre fugace qui change avec
méthode et régulièrement de place sous plusieurs véhicules .Intrigué, je m’avance à quatre pattes sous les gardes boues de la rangée de 4X4 rutilants garés en face de nous et je vois sinon ma
vieille connaissance peut être sa sœur ou sa fille, la « Marmotte du Pelvoux » . Elle grignote les caoutchoucs d’amortisseurs, sirote l’huile chaude des durites usées, lèche les
graisses suintantes des moyeux, les débris roussis de plaquettes de freins, les métaux lourds qui dégoulinent avec la condensation des pots d’échappement. Rien ne l’effraie, même pas ma reptation
pour m’approcher d’elle. Vous me taxerez d’anthropomorphisme, pas grave, je ne suis pas la Fontaine et ceci n’est pas un conte : elle faisait la « manche » il y a dix ans sur le
sentier du Pelvoux, elle survie sur les résidus de notre société de consommation en 2006, peut être que le loup viendra la manger si elle est faible ? Laissons là dans son alpage, avec sa
nourriture, se battre contre les éléments quand le froid et la neige viennent. Laissons la faire sa graisse garnir sa tanière d’herbes odorantes. Laissons la se chauffer au soleil sur la
pierre , laissons la debout guetteuse à scruter le ciel pour prévenir la colonie du passage de l’aigle.
J’aime te voir et t’entendre, alors ne t’approche ni des hommes ni des voitures et tu resteras pour toujours la « Marmotte du
Pelvoux ».
Pré de Madame Carles 21 juillet 2006