Petit Rochebrune 3078 m.,Queyras, par les Fonts de Cervières, Briançon.
Dénivelée 1038 mètres
Carte 25 000 IGN Briançon 3536 OT, Mont Viso 3637 OT
« La solitude ça n’existe pas » ,c’est sur cette chanson de Bécaud que je peux raconter cette randonnée du 6 juin 2009.
Terrain d’aventure pour ce sommet qui est un objectif de ski de printemps et se trouve dénué de sentier dans sa deuxième partie.
Je suis parti comme j’avais pris l’habitude de partir ces jours-ci lors de mon court séjour de « remise en forme ». 6h30 lever, départ 7 heures, le soleil n’est pas encore passé au dessus des crêtes, je pars dans la direction du Col de Peas vers le Sud.
A la cote 2200 après la source, je laisse le sentier pour m’élever dans les pentes d’herbes raides vers l’est qui montent sans traces au Clôt des Thures 2602m. où, je trouve un petit troupeau de clarines en train de ruminer.
Le soleil commence à passer sur le col de la Crousette, je ne vois pas les détails du pierrier à cause du contre jour et je décide après les vallonnements herbeux de prendre la caillasse vers le sud pour atteindre la cote 2846 au dessus du Venton.
Dans le pierrier, surgit de nulle part, un vieil homme marche lentement en direction du sommet.
Il me propose de faire la suite de la rando avec lui. Il est italien et il a
déjà fait ce sommet il y a 30 ans. Il n’est pas ralenti pas un gros sac à dos : il n’en a pas. La conversation s’engage dans la lente montée vers la crête, où, nous retrouvons l’ombre et la
fraîcheur. Ses 72 ans et une entorse au genou ne l’empêche pas d’une avancée régulière de monter d’une façon efficace. Humaniste, avocat, nous parlons littérature, je dois dire qu’à part Umberto
Ecco et Dante, je ne suis pas un érudit de littérature italienne, par contre lui connaît la langue et la culture française, il me fait rectifier un mot ou une expression quand il n’est pas sûr,
mais nos montagnes n’ont pas de secrets pour lui. Sa connaissance de l’allemand, lui a aussi permis de faire de nombreux sommets au Tyrol et en Autriche, il parle et son souffle malgré la pente qui s’accentue ne faiblit pas.
Dans le pierrier quelques plants de génépi méritent plus une photo qu’une maigre
cueillette.
Sa vie n’a pas été facile, mais la morosité n’entame pas sa bonhomie et son plaisir d’apprécier le temps présent et la joie de l’instant.
Le sommet, occasion de pause, offre une vue sur le Queyras et les sommets de
la frontière italienne, il m’énumère tous les noms. On aura fait nos 1000 mètres de dénivelée en 3 heures tout de même.
Le Viso trône en maître au dessus des sommets du Queyras. Aujourd’hui, la « nebbia » qui monte souvent de la plaine du Pô ne vient pas lécher les sommets : Pic d’Asti, Aiguillette, Pain de Sucre, Taillante, Rocca Bianca, Tête des Toillies,
Bric de Rubren, Font Sancte.
J’ouvre mon sac à dos et lui propose de partager mon repas avec lui, son faible bagage m’indique qu’il doit avoir juste un "en cas". En picorant quelques chips, il me propose un carré de chocolat au poivre et une rasade de gnole aux « herbes de montagne » comme il le dit si bien avec son accent de Turin. Fameux ! l’élixir descend dans le fond de ma gorge, le piquant du poivre vient réveiller mes papilles, et c’est une fête pour la bouche.
Mon compagnon part plus tôt du sommet, ralenti par son genou douloureux, nous
avons décidé de rentrer par le même parcours, longer la crête vers le nord pour descendre le pierrier vers le petit lac.
Quand je pars, une minuscule silhouette rouge avance dans cette immense caillasse, les chevaux du Clôt des Thures s’approchent pour recevoir une caresse, et, sous le Pic Lombard 2975m., je
retrouve mon ami d’un jour. La conversation reprend dans la descente vers les Fonts.
Il refusera mon invitation de s’asseoir un moment sur la terrasse du refuge, son fils attend de ses nouvelles. En effet, les portables ne passent pas dans ces vallées perdues, il me quitte en me disant que ce soir un bon repas l’attend concocté par son enfant presque aveugle qui partage sa vie.
Des routes se croisent mais la montagne rapprochent les hommes qui partagent le goût des mêmes passions et la contemplation de paysages éternels. Au-delà des performances sportives, du chrono, des ambiances de groupe, du « m’as-tu vu » des soirées agitées, une brève rencontre de montagnards prends des accents d’amitié.