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Publié par FMarmotte5

Ils ont bien du partir de rien.

Rien, rien de rien, presque rien, moins que rien, pas grand chose. Des souvenirs, des images. Là-haut sur la butte qui domine le village, les cartes indiquaient : tumulus.

Les plus érudits disaient que c'était une « motte-castrale », les poètes allaient s'y promener seuls, les enfants malgré les interdictions parentales allaient y jouer aux indiens et aux cow-boys, chevaux imaginaires pour des chevaliers en armure, Ivanhoé, Thierry la Fronde, Robin des Bois, Mandrin y affrontaient Barbe-bleue, des Cavaliers Noirs, des fantômes sans tête, Dark Vador, des capitaines Crochets, alligators, vampires, orques, trolles, farfadets facétieux, main noire, daemons... tous les personnages de la littérature fantastique y passaient.

 

Ce n'est bien que dans les jeux des enfants qu'il restait un peu de magie depuis que Yorik avait disparu. Les rêves étaient revenus parsemer leur sommeil (après le labeur) de départs, de courses folles dans des pentes abruptes, de labyrinthes sombres, de vols légers sur les ailes de créatures inconnues, dragons et chimères équestres, des réminiscences où les plus fins observateurs de l'âme n'y voyaient que les images des contes qui faisaient de la Sylve un endroit toujours aussi extraordinaire.

 

À part le promontoire et ses ronciers, une source cachée dans une combe secrète chantait parfois aux dits de celles qui la fréquentait. Un groupe vocal était même né de ces inspirations, il portait la légende de la Sylve de part le monde. Les coureurs de montagne étaient souvent retournés dans le vallon isolé où on avait retrouvé le descendant d'Akiiko mais la yourte n'était plus là. Il se raconte que des nomades sont passés un hiver, en ont chargé des yaks sur des bâts de fortune, les traces de la longue caravane partaient vers l'est. De petits drapeaux imprimés de runes secrètes flottent accrochés sur les cairns des cols, aucun voyageur solitaire de passage ne s'est perdu depuis.

 

Dans le plus profond de la forêt des mousses étranges ont poussé, quand une équipe de randonneurs traversent le sous-bois, ils sont plusieurs à s'écrier :

« On dirait un paysage de conte de fées, tu vas voir , des trolles et des nains vont surgir de derrière cette vieille souche! »

On ne peut pas dire que ce pays a perdu la magie, les êtres sensibles et ceux qui souffrent en ressentent parfois la tendre brise, comme les gestes de réconfort que les malades viennent chercher dans la pièce de derrière chez l'Aubergiste.

« Chut ! On en parle pas mais tout le monde le sait, sa femme a des dons, elle remet en place les muscles noués, elle noue les liens d'amour et dénoue les entrelacs des conflits... elle tisse, elle a le secret des nœuds et des aiguilles.»

 

Quand on passe devant le cimetière, la pente se fait plus raide. C'est un but de promenade somme toute assez fréquentée car de là- haut la vue est belle sur la vallée et la montagne d'en face qui prend des couleurs au couchant.

Dans les talus quelques pierres attestent un édifice ancien, une construction aux allures massives.

 

Un jour, Haïcourt s'était attardé, fatigué des jeux d'enfant. Il traînait ses savates entre les ronciers, aubépines, églantines qui avaient envahi les fossés.

Le soleil baissait dans le ciel, les jours d'automne raccourcis avaient l'avantage d'être encore suffisamment chauds pour faire tourner au noir sombre les mûres juteuses qu'il grappillait avant de rentrer.

Un bruit se fit entendre sous le fer de ses chaussures de marche. Depuis qu'il avait reçu la chevalière du Temps des mains même de Yorik, il ne s'étonnait plus. Il racontait aux plus jeunes ses aventures ainsi que celles de leurs pères, grands pères, mères et aïeules, tantes célibataires ( les tantes sont -elles toujours célibataires?), cousines éloignées venues l'été en vacances, auteurs en quête d'authentique ayant entendu parlé du coin si propice aux histoires. Il se trouvait parfois trop sollicité et ces moments de solitude étaient bienvenus.

 

«Sbong! Sbing ! Clong ! Cling ! »

« Ce n'est pas une simple pierre ? » Se dit-il en redonnant un coup de la pointe de son soulier.

« Sclong ! Scling ! »

Il se penche et sort son Opinel, il gratte, frotte, souffle. Ce qui lui semble du métal vire au rouge cuivre, une chaude couleur qui lui rappelle la cuve du fromager dans l'alpage. L'objet lui semble immense, la nuit tombe. Plus raisonnable après sa nuit blanche dans la montagne, il décide de rentrer au village.

 

Malgré le soir qui avance, il connaît les maisons qui tard dans la nuit gardent une fenêtre allumée. Les porteurs des 7 chevalières que Yorik a remis ne sont pas des couches-tôt. L'étude, la méditation, l'écriture, le travail les tiennent éveillés parfois jusqu'au petit matin.

 

Cette nuit là : un observateur discret aurait pu voir Haïcourt frapper discrètement aux portes. Une petite troupe de six personnes marcher sous des capes sombres et entrer dans l'Auberge aux environs de minuit.

Personne ne les a vu ressortir, sans doute le village était-il assoupi profitant de leurs rêves profonds autrefois disparus. Mais « à la fraîche » les plus matinaux, le boulanger, le forgeron, les faucheurs ont suivi les « Porteurs des 7 chevalières » monter sur la butte chargés, qui : d'une pelle, d'une pioche, d'un pic.

 

«  à mains nues ! » L'expression est un peu lourde et pourtant elle reflète bien les efforts désormais nécessaires pour accomplir chaque chose. Tailler, jardiner, bêcher, pétrir, forger, souder, écrire, laver, servir, soigner, tisser, dessiner, faucher. Le potier en savait quelque chose, le maréchal-ferrant aussi, l'instituteur même trouvait l'enseignement difficile.

 

« à mains nues ! » ces mots finalement disaient bien ce qu'ils voulaient dire. Sans magie, la vie était devenue un effort quotidien.

Je pourrais terminer l'histoire en quelques mots, un résumé, faire un nouveau chapitre imprévu ?

Yorik me dit qu'il faut terminer aujourd'hui, les aiguilles de son temps ne se remontent pas, avant le matin je lui fermerais les yeux.

 

...Ils sont finalement parvenus dans le fossé sous les ruines. Haïcourt n'a pas eu de mal à retrouver ce qu'il pensait être un chaudron enfoui.

Ce n'est que vers midi qu'ils ont enfin pu dégager les rondeurs de la pièce de cuivre posée « à cuchon » . La terre n'a pas envahi le large récipient, il a bien fallu tous les bras pour le retourner. Quand ils ont voulu voir à l'intérieur, aucun n'a pu y plonger la main. Ils se sont regardés. Le soleil en son zénith est venu en illuminer le fond, les yeux éblouis se sont clos.

Tenant chacun des deux mains le rebord de cette grande marmite, une gamelle digne d'un épisode de Gargantua qui prenait maintenant des reflets d'or, la rune Uruz sur la chevalière du Loup s'est mise à scintiller. Le « Gardien de la Forêt » s'est penché pour atteindre le fond et saisir un parchemin scellé du sceau d'Inlandir.

 

Ils connaissaient tous ce passage du chapitre 18 du « Dit ».

« Le songe d'Inlandir » : «Les troncs laissent la place à une brume qui s'effiloche en charpies translucides et diaphanes. Il avance vers le centre, sur son front...

...Ferhu scintille sertie dans une racine de bruyère. »

Le cachet de cire verte est intact. Sûr de ce qu'il va trouver, Ia Chris Kutuson car c'est son nom se penche encore et saisit le diadème d’Émeraude. Il le pose avec naturel sur sa tête, la pierre partage sa longue chevelure noire. Il fait sauter le sceau du Loup et déplie le parchemin.

 

 

la Tour

 

 

C'est « à mains nues » qu'ils entreprennent la reconstruction de la tour.

La charpentier se met au travail, tout est là sur le plan.

Tailleurs de pierre, tapissières, sculpteurs , tout le village s'y met. La yourte symbole et nomade était rêve et magie, la tour sera leur phare, leur œuvre collective.

Ils la bâtiront « à mains nues ».

 

Passez par là-bas, faites un détour par l'Auberge, sur le mur à côté de la carte de la Sylve, le parchemin d'Inlandir vous dira certainement qu'elle est votre place. Vous : petit, insignifiant, inconnu, y resterez peut-être un jour, une semaine, un an, toute la vie, vous gravirez les pentes de la colline d'où l'on voit le montagne et vous saurez qu'elle est votre place, vous amènerez votre pierre. Peu importe votre effort, l'insignifiance de votre participation, le soir un sentiment de devoir accompli, de travail bien fait, vous comblera le cœur comme l'amitié autour de la table où l'Aubergiste vous accueillera.

 

Sa soupe ne vous aura jamais semblée aussi bonne.

Fatigué, le dos contre les vielles pierres, vous écouterez « un de la Sylve » raconter un passage du « Dit », le matin ne sachant plus si vous avez rêvé, vous partirez sur le chemin, sac à dos alourdi d'un pain chaud et craquant, le cœur léger loin des tracas du monde, le pied ferme, décidé.

N'ayez pas peur de vous perdre, Vous croiserez peut-être Renard ?

 

Quand je passe dans la vallée, je regarde la tour, elle semble terminée, mais les détails, l'insignifiant : une nappe, un banc, une calligraphie, un bol, un poème, une guitare, un dessin sur un mur restent encore à faire, sans urgence dans la patience du temps, elle attend... votre rêve à vous.

 

Fin.

 

44. Le « Dit » de la Sylve d’Émeraude. 7. « à mains nues ». IX. Revenu les rêves nus. Épilogue.

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M
<br /> Je voudrais pouvoir gravir ta montagne, comme autrefois du côté des Pyrénées,  et trouver ce coin de rêve qui m'attends...  partager ce pain craquant, alors je vais tâcher de voir avec<br /> tes yeux Pierre<br /> <br /> <br /> Bonnes fêtes de Pâques<br />
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J
<br /> Ah te revoilà Pierre !?... ravie de te lire à nouveau et cette photo est superbe merci à toi...<br />
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Q
<br /> J'ai été gênée par le début de ton quatrième paragraphe. "Ce n'est bien que dans les..."<br /> Mais, une fois passé ce qui n'était qu'un détail qui m'a obligé à être plus attentive à ce que je lisais, je t'ai suivie de nouveau... jusqu'à la fin.<br /> <br /> Bien sûr qu'une histoire n'est jamais terminée quand il y a encore tant à écrire, à découvrir, mais tu lui as donné un tel dénouement que j'ai eu dans les yeux et au coeur l'émotion que j'attends<br /> quand je lis un livre.<br /> <br /> Oui, peut-être, il se peut qu'un jour, moi aussi, j'aille là-bas, même si je n'ai pas la force de monter avec eux jusque là.<br /> <br /> Je m'installerai près de l'âtre pour réchauffer mes vieux os malades et j'écouterai l'un ou l'autre me raconter l'un des chapitres déjà écrits ou d'autres qui ne sont que dans les blancs que tu<br /> as laissés pour que nous puissions y mettre un peu de nos propres rêves.<br /> <br /> Merci, Pierre.<br /> Passe une belle journée.<br />
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M
<br /> Tiens, tu me donnes envie de revoir Thierry la Fronde! C'était génial! Pour ta citation, je connaissais, elle est excellente! Je l'ai d'ailleurs citée dans mon essai sur les grands écrivains...<br />
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