C'est l'Histoire d'un mec....Les restos du cœur. Campagne 2012.
Mon pilote était attendu ailleurs et m'a laissé rapidement après avoir valider le règlement des consommations.
De nouveau seul sur Zart' je n'avais nulle envie de retrouver Esmezarta. Elle m'aurait repris en souvenir de son oncle. Pedrito le généreux, le bon, le charitable, personne ne l'a jamais su mais il avait un poster de Coluche dans son bureau, et il envoyait régulièrement une partie de sa production sur la terre pour les « Restaurants du Cœur ».
Malgré son avidité Esmezarta continuait cette tradition.
Devant la terrasse du café, le ciel de Zart' était noir, la nuit est tombée vite, nous n'avions que quelques heures de vraiment sombre avant le lever du deuxième soleil. La vie nocturne allait être chaude, J'avais vu entrer quelques musiciens avec leurs instruments traditionnels.
J'ai levé la tête , une fusée en pleine accélération emportait un chargement de tomanzanillas à une vitesse infra-luminique, seule façon de faire voyager ces fruits délicats dont la conservation était difficile. Il y avait bien l'option de la dessiccation mais les sans-abris étaient aussi très carencés en vitamines C et le danger était de dissoudre les nano-particules nutritives et de n'envoyer finalement qu'une cargaison d'eau.
Seul, je suis allé dans le fond de la salle du Geek-Fahren8 (prononcer eight) 451 où, calée sur une étagère, une ancienne machine à remonter le temps diffusait des séquences de la terre.
Pas un Scopitone, ni un nouvel écran plasma, c'était un énorme tube cathodique qui devait bien peser les 40 kilos. Ces objets d'un autre temps amusaient toujours les habitants de Zart' comme les modes de vie de cette planète que j'avais quitté déjà depuis pas mal de temps. La traversée du trou noir avait perturbé mes horloges circadiennes, je vivrais donc au jour le jour comme Tumak-Zork IV m'en avait donné le conseil, lui habitué aux franchissement fréquent de l'espace-temps et des phénomènes quantiques. Un jour il m'a confié avoir été à plusieurs endroits à la fois ? Mais ça je pense que c'était de l'humour, un 5 e degré auquel je n'étais pas habitué, j'ai ri.
Le mur du fond était tapissé d'un motif néo-technique : des antennes râteaux dignes d'un toit parisien des années 70.
Autant Zork-Zart' ne connaissait ni la faim ni le froid, autant la terre n'avait jamais pu régler ce problème d'inégalité sociale. Les riches toujours plus riches et les pauvres toujours aussi démunis même de l’essentiel. C’est pour cela que l'écran diffusait ces images d'un passé terrestre qui intriguait les Aliens de passage. Les Zorkiens ainsi que d'autres peuples des confins de l'univers connaissaient le texte de Montaigne sur ce qui « … frappa le plus des naturels du Brésil qui furent menés au Roi en 1557, étoit qu'il y eut parmi nous des hommes pleins et gorgés de toutes sortes de commodités et que leur moitié étoit mendiant à leur porte chargés de faim et de pauvreté et ils trouvaient étrange que ces moitiés ici nécessiteuses pouvaient souffrir une telle injustice qu'ils ne prissent les autres à la gorge en mettant le feu à leur maison... la rébellion contre l'injustice est un acte naturel. » La machine montrait les indiens Tupinamba, leur sens du partage. Un flash-back court illustrait la devise romaine « Du pain, des jeux !» pour éviter la révolte des citoyens.
Je n'avais pas lu ça dans les Essais, ça devait être tiré d'une œuvre plus confidentielle et malgré le nom du café et son allusion au livre de Ray Bradbury, cette planète-ci ne brûlait pas les livres et l’adaptation cinématographique de François Truffaut passait régulièrement sur les écrans.
Puis un épisode survolait les terres stériles de l'Europe avant la Révolution. 1789, des émeutes. La maîtrise des énergies fossiles : charbon, pétrole, les espoirs du machinisme, de la robotique, les philosophies humanistes et leur dérives liées à l'espèce humaine, sa cupidité, son égoïsme, quelle curieuse espèce malgré son potentiel d'empathie.
Les 30 Glorieuses, mais pas pour tout le monde, un homme maigre le visage couvert d'une barbe de sage lançait un appel un hiver 54 particulièrement rude.
Un best-seller montrait un monde d'inégalité, ce ne pouvait être que dans une société humaine : les Alpha et les Epsilon, les castes... et ils appelaient ce genre de livre de la science-fiction, « Le meilleur des mondes », Huxley devrait voir Zork-Zart', la gratuité, la culture, la tolérance avec cette mixité ethnique, les échanges de connaissance, les transferts de technologie, l'éducation largement dispensée.
Les images prenaient de la couleur, des rires fusaient, un clown au nez rouge lançait en 1985 « Les Restaurants du Cœur ». Coluche, le mec du poster de Pedrito. Les gens pensaient que sur terre le problème du partage des richesses allait être réglé en quelques années.
Sur Zork voilà déjà plusieurs centaines d'années que l'essentiel était gratuit, certes, il y avait des avantages à être un H+ comme mon pilote mais tout le monde avait à manger, des appartements en libre-entrée permettaient à l'étranger de passage de passer plusieurs jours de repos. Un maître mot érigé en savoir-vivre : "hospitalité " faisait de ce monde éloigné une halte recherchée pour son accueil.

L'écran de télévision après un interlude animalier montrait un clip. Chaque année une chanson relançait la générosité des gens afin de récolter des fonds et de la nourriture, à chaque élection , les politiques faisaient des promesses énergiques pour mettre fin au mal logement, à la précarité.
« Encore un autre hiver » passait maintenant sur l'écran, les Enfoirés sans pathos faisaient passer le message de partage , le petit logo en bas de l'écran donnait la date : 2012.
Je n'avais pas de nouvelles de la terre et j'espère que le chargement de tomanzanillas qui s'éloignait à la vitesse de la lumière pourrait traverser le portail temporel et livrer sa cargaison à temps et mettre fin une fois pour toute à l'injustice. Outre un chargement colossal de nourriture, l'élite intellectuelle de Zork-Zart' avait rédigé une message et quelques conseils de vraie démocratie aux dirigeants de la Terre.
Des choses simples, des gestes d'amour, des notions élémentaires d'économie car une plaie gangrenait l'économie terrestre : la spéculation. Certains en étaient à vendre ce qui n'était pas produit, à monnayer l'air, l'eau, les récoltes futures. Obnubilés par l'appât du gain, une surproduction inutile poussait au gaspillage, des entreprises jetaient de la nourriture dont les plus faibles manquaient cruellement.
Un des cyber-punks venu étudier les systèmes aéro-poniques de la façade de l'immeuble est venu voir l'émission avec moi avant le concert et il a voulu que je lui confirme qu'à la sortie des entrepôts certains commerciaux pulvérisaient des produits chimiques sur la nourriture invendue afin d'en éviter la récupération par les organismes humanitaires.
« Une honte » m'a t il confié.
« Je suis retombé sur terre » comme dit l'expression, j'avais bien vu ça.
PF
Carnets de voyage dans le monde de Zart'
Une opération de mobilisation a lieu du 20 février au 26 mars 2012.
