Courrier du "Livre Inter" 2012
J'avais posé ma candidature pour être juré du « livre-Inter » 2012. Elle n'a pas été
retenue.
J'ai reçu le 26 juin dernier une gentille lettre me proposant de « tenter à nouveau ma chance l'an prochain.»
Voilà pourquoi je me permets de la partager avec vous sur le blog. L'an prochain je verrai bien la tournure sans
doute différente qu'elle prendra.
"31 janvier 2012
Livre Inter -
France Inter
116 av du Pdt Kennedy
116 av du Pdt Kennedy
75220 Paris Cedex 16
Objet : lettre de motivation à la candidature au poste de juré du « Livre
Inter 2012 ».
Madame, Monsieur,
Inutile que je vous fasse une liste de mes auteurs préférés, ni que je cite les livres empilés sur la table de
nuit selon mes humeurs, mes états d'âme, mes insomnies. Je n'aime pas les quatrièmes de couverture surtout quand elles sont un extrait du texte. Je lis les préfaces après avoir lu le livre. Tout
ça c'est des manies propres à chaque lecteur et vous devez penser que cet homme a bien peu de choses à dire sur la lecture.
Tellement éclectiques mes goûts, ça ferait un peu lèche-botte de dire que j'ai lu tout Amélie Nothomb mais pas
encore le dernier, j'attends le départ de ma troisième fille de la maison pour cela. Je pourrais en rajouter une couche en vous disant que j'écoute avec assiduité « Des Papous dans la tête » quand je suis chez moi le dimanche.
En fait, je suis montagnard, l'objet « livre » est souvent trop lourd à emmener dans un sac à dos, mais
je vais vous faire une confidence, dans les refuges, on trouve toutes sortes de livres. Il est vrai que les romans sont rarement les derniers parus, des Giono, C.F.Ramuz, Barjavel, Frison-Roche
sont encore agréables à relire et vous seriez étonnés des éditions rares qu'on y trouve, les tranches usées jusqu'à la corde, les pages cornées, des passages soulignés. En fait tout ce qu'il ne
faut pas faire. On a rarement le temps en une soirée d'en finir un en entier et c'est sans doute pour cela que j'ai assisté au pire des sacrilèges : un roman déchiré en deux afin que le
coupable lecteur ( c'est pas moi, juré ) puisse le finir plus tard.
Tant qu'à être choquant, autant vous parler des rayonnages dans le WC de la maison, ici les livres vont et
viennent au gré des visites et je dis toujours qu'une bibliothèque en désordre est un signe de bonne santé, c'est la preuve que les gens lisent, prennent, empruntent, feuillettent, vivent,
ouvrent les yeux « Comme dans un roman » de Daniel Pennac, on ne se sent pas obligé de finir ni de commencer par le début.
J'ai bien du racheter 4 fois « Voyage avec un âne dans les Cévennes » de R.L.Stevenson, ils sont partis
avec sur le chemin du même nom, Michel Le Bris ne m'en voudra pas d'aimer aussi les écrivains voyageurs.
Contrairement à la personne dans la chanson de Michel Jonasz je n'emporte pas « l'Île au Trésor » dans
mon sac à dos. J'ai fait pourtant une entorse a mes habitudes en traînant cet été « Belle du Seigneur » d'Albert Cohen de gîtes en refuges et les plus de 1000 pages n'ont pas ralenti
mon pas sur les sentiers.
A l'heure où je vous écris, la neige entoure la maison je commence « Cet instant là » de Douglas
Kennedy et je pourrais me croire dans la maison du Maine que Nesbitt vient d’acquérir.
Je vais vous avouer une chose, il m'arrive parfois de m'identifier aux héros, aux anti-héros de préférence
rebelles, les sangs-mêlés de Jim Harrison me fascinent. Je scrute le quotidien : les choses, les menus, le décor des pièces, le contenu de la poubelle dans les romans à suspens. J'éteins la
lumière et je me cache derrière le rideau comme dans un building à Brooklin, où j'aurais pu croiser Paul Auster ou J.D Salinger lors d'un de mes séjours à New-York. J'ai les chevilles qui
gonflent, je ne peux plus mettre mon chapeau, mon corps se transforme : cancrelat, porc, les « Truismes » sont mon fort : altruismes et empathies, c'est mon métier. Les
longues nuits de garde sont propices à l'ouverture d'un bouquin, même un Thomas Pynchon
m'attire.
Non , vous pouvez chercher, bien que proche de la Chartreuse, je ne suis pas « Médecin de
campagne », je n'ai que peu d'attirance pour le « Rouge et le noir », je laisse les armes et le goupillon à d'autres. Il ne me déplairait pas de faire la connaissance d'une Emma
Bovary contemporaine, mais c'est une autre histoire sinon vous allez ranger ma lettre dans les « petites annonces ».
Si vous avez la curiosité de chercher où j'habite avec un outil moderne de localisation, vous ne verrez pas ma
maison, elle est trop isolée, c'est sans doute pour cela que je relis Brautigan. J'aime le froid mais je n'irai pas perdre mon nez sur la perspective Nevski, Gogol et Pouchkine m'ont fait visiter
Saint-Pétersbourg. Je ferais l'économie d'une voyage en Trans-Sibérien. Par contre un vol en partance pour l'Argentine ne me déplairait pas. J'aurais le léger « Fictions » de Borges que
je ne sais pas encore pas cœur, mon nom n'est pas Funes.
J'imagine que vous n'avez pas terminé ma lettre et c'est donc sans la censure de votre regard que je peux confier
sans honte au papier que les méandres de mon esprit se délectent des cavernes labyrinthiques d'un José Saramago. J'ai cru y croiser une fois un Kafka, il avait ôté son melon, laissé sa canne et
sa pipe à moins que ce soit celle de Magritte ? Je ne suis plus sûr de rien sauf qu'Ubu est toujours roi. Bloom ne s'est pas perdu , lui, dans Dublin, il n'avait à surveiller ni un Sancho,
ni un Vendredi. D'ailleurs le 16 juin 1904 était un jeudi.
A ce point de mes confidences vous pouvez penser que tel Quichotte, j'ai trop lu de romans.
« Il est fou ! »
« Il va bientôt prendre un plat à barbe pour le casque d'Or de Mandrino ? »
Désuet ? Je ne vous le fais pas dire, je vais finalement terminer l'inventaire de la pile près de mon
lit.
Claude Izner : « les souliers bruns du quai Voltaire », James Ellroy : « Underworld
USA », Haruki Murakami : « Autoportrait de l'auteur en coureur de fond », je ne les ai pas encore lus.
« Dévoilé ! » je vous entends d'ici, c'est un auditeur de « La Grande Librairie », vous avez raison, à l'instant ou je vous écris, François Busnel reçoit Michaël Cunningham. Je vais
vous laisser car loin des librairies, je vais passer ma commande de livres sur Internet, l'hiver s'annonce rigoureux j'aurais sans doute de longues heures devant moi, si la lumière se coupe,
comme souvent, le stock de bougies sous l'évier me promet de belles soirées. Désolé de cette fin écourtée, j'ai été assez volubile pour me mettre à l'écoute de la radio, la nuit
tombe.
J'envoie ce courrier dès que je peux descendre au village. Ce n'est pas une bouteille à la mer et je vous laisse
bien entendu tout le loisir de choisir ou non ma candidature comme membre du jury. Dans l'attente et avec l'assurance que les routes seront dégagées au mois de juin pour « Le Prix du Livre
Inter », soyez assuré(e) Madame, Monsieur de mon vif intérêt, sans aucun doute de ma curiosité quand aux dispositions que vous allez prendre suite à lecture de cette missive.
Sincères et cordiales salutations.
PF
PS : Je vous prie d'être bienveillant quand au choix de la police, le rouleau encreur de ma vieille
« Underwood » est à sec. J'y suis très attaché et le « Courier New » m'inspire. C'est donc sur mon ordinateur que faute de clavardages avec des voisins je tape ce document. Un
voyage à Paris me permettrai peut-être de trouver chez un brocanteur un de ces rouleaux pour machine à écrire. Rue du Marché Popincourt si mes souvenirs sont bons me semble la bonne adresse. Je
saurai encore prendre le métro depuis la « Maison de la radio»."