Elle : en un mot.
Depuis que mon aventheureuse est partie je suis comme elle, je commence tout et je ne finis rien. Elle touche à tout, ici, elle a planté un arbre, arraché la tapisserie vieillotte de ma chambre et sans refaire l'enduit elle s'est mise aux fléchettes Irlandaises sur le mur.
Je suis sans nouvelles d'elle.
Elle a troqué sa valise pleine de modèles de grands couturiers pour un de mes jeans de routard et ma chemise à carreaux de coureur des bois, je cherche mon sac à dos en vain, ma boussole a disparu, le bandana fuschia n'est plus dans la corbeille à linge. Il reste un vague nuage de N°5 sur une serviette de toilette que je ne lave plus.
J'ai cru comprendre qu'elle allait pratiquer le Zen sur une île en face de Sakishima mais les choses étant ce qu'elles sont, j'ai ouï dire lors de la visite d'un ami japonais qu'elle était montée plus au nord faire un trek au bord du lac Baïkal.
Sans doute afin de déranger l'ermite qui s'y trouve ?
J'ai bien essayé de la joindre sur son mobile mais son opérateur me dit d'une voix monotone « Votre correspondante n'est pas joignable pour l'instant.»
Il m'a semblé qu'elle s'intéressait au Kung-fu et je ne serais pas étonné qu'elle ait maigri de quelques kilos en suivant un sévère training dans un monastère Shaolin. Confucius était son modèle, délaissant les Platon , Socrate, Thoreau , Rabhi trop austères à son goût, mon épicurisme rabelaisien la faisait grossir.
Il lui fallait je crois des parfums plus exotiques, des couleurs orientales, des épices d'Asie, des curcumas, du gingembre, des rouges, des piments qu'aucun alcool ne peut éteindre.
Ni gri-gri ni formule magique, nulle incantation Vaudou, aucun remède de bonne-femme , point de grimoires alchimistes, encore moins une page cryptée d'un extrait de la Kabbale pour la guérir de ce qu'elle nommait ses « maux d'ailes », ses envies de départs.
Elle me disait souvent :
« J'ai des fourmis dans les jambes.»
« Qu'est ce qu'il y a derrière la forêt ? Ouvre la portelle du jardin Petit Pierre et ramène moi la peau du Loup! »
« Emmène-moi au cinéma! Décroche moi la lune, fait comme Méliès!»
Elle aurait pu tout aussi bien aller au Mexique pour des séances de salutation au soleil au sommet d'une pyramide dans le Yucatán, faire une initiation chamanique dans une hutte de transpiration Yanomami enfumée le long de l'Orénoque.
Je guette le facteur sans espoir.
Elle n'écrit jamais.
Ce matin pourtant, la petite voiture jaune s'est arrêtée, il y avait un « Mot d'elle ».
Elle croit sans doute que je parle le Chinois, sur le rayon de ma bibliothèque, un livre traîne que je pensais neuf, jamais ouvert, nonchalante sur le canapé elle préférait feuilleter un de ses magasines fashion, un fanzine.
Le livre est grenat, c'est un recueil de calligraphie chinoise, une page y est cornée, ceci n'est pas dans mes habitudes ce ne peut être que d'elle,
ce modèle du mot d'elle :
