Gargamelle, le bois dans les Chambarans. Sur les traces de la légende.
Titre 2 : « Hermétisme dans mes promenades champêtres. »
J’ai ressorti mon vieux Gargantua de Rabelais pour y chercher des indices. Aidé de « l’Histoire secrète des Alpes » de Séverin Batfroi, j’ai découvert que notre débonnaire géant était passé pas loin. Il n’est pas un village, un hameau, une ville possédant une dent (au sens géologique du terme) qui n’atteste le passage de Gargantua sur son territoire. Les 3 pucelles de Grenoble, Chamechaude en Chartreuse. Ses détritus formèrent le Salève quand il creusa le Léman. Un pied sur la Dent du Chat et un autre sur le Grand Colombier, il but les eaux du Rhône….Une autre version laisse à penser que le Rhône aurait été creusé par son « pissâ » après une bombance bien arrosée, rendant ainsi le fleuve Alpin impropre à la consommation bien avant les PCB.
L’ Abbaye de Chambarand proche du bois qui nous intéresse, a été crée en 1870 suite à la donation de Dom Jehan de Durat Abbé de Sept Fons (Allier). Il acquiert l’ancienne ferme Saint-Jean dite « Château Russe » le 23 octobre 1867 afin d’y établir un monastère de l’ordre cistercien, contemplatifs connus sous le nom de Trappistes. Des moines en 1872 commencent la fabrication de la bière. Il ne faut donc pas y voir l’Abbaye de Thélème inspirée d’après les spécialistes pas les « Compagnons de l’Angélique » sur la colline de Fourvière à Lyon. Ni penser que les guerres Picrocholine se déroulèrent par ici, je laisse à Loudun, Chinon, Azay-le-Rideau l’apanage d’une si funeste bataille.
« Ainsi s’en alla le pauvre cholericque ; puis, passant l’eau au Port Huaux et racontant ses males fortunes, feut advisé par une vieille lourpidon que son royaume luy seroit rendu à la venue des cocquecigrues. » (Gargantua chapitre XLIX) Que Picrochole reste où il est, les cocquecigrues ne sont pas encore de retour.
Rabelais pourtant, aurait bien pu venir faire des pas ici dans ces bois. En 1532 François Rabelais s’établit à Lyon, haut lieu de l’humanisme et de l’imprimerie, loin des censeurs de la Sorbonne qui condamneront le « Tiers livre » en 1546. Nommé médecin à l’Hôtel-dieu le 1 novembre 1532, il fait paraître son Pantagruel le 3 novembre sous le pseudonyme d’ « Alcofribas Nasier » : un anagramme. Il est allé se réfugier à Grenoble chez François de Vachon, président au parlement pour fuir des persécutions à Lyon, trop bon vivant pour le censeur du XVI e siècle. Selon Guy Allard (la Bibliothèque du Dauphiné, 1680) il y aurait terminé son Pantagruel. Délaissant sa charge de l’Hôtel Dieu on le retrouve dans la suite de Jean du Bellay à Rome. Il descend à l’Hôtel de la Poste à Chambéry théâtre d’un épisode scatologique du Pantagruel. Il reviendra à Lyon en 1547 pour déposer chez son éditeur lyonnais le manuscrit du « Quart livre ».
Dans Le Quart livre de Pantagruel (publié en 1552) Rabelais nous décrit le Mont Aiguille :
« Scabreuse, pierreuse, montueuse, infertile, mal plaisante à l’œil, très difficile aux pieds » Malgré la récente première ascension en 1492 par Antoine De Ville.
Est-ce Gargantua qui nous intéresse ici ? Non , C’est Gargamelle. C’est bien sûr la mère de Gargantua, elle l’a porté pendant 11 mois. Fille du roi des Papillons elle épouse ce gros mangeur de Grandgouzier. En menant un peu plus loin mon enquête je découvre que Gargamelle est le nom populaire pour le gosier, la gorge.
Rabelais a été à l’origine de la grande diffusion de ces légendes, mais le personnage de Gargantua est plus ancien. Personnage mythologique, les pérégrinations de Gargantua ont laissé de nombreuses traces dans les provinces et dans les Alpes en particulier, peuplées par les Allobroges, un peuple celte particulièrement rétif à la domination romaine.
Un livret circulait avant la publication du Gargantua de Rabelais en 1535, sous le nom de : « les Grandes et inestimables cronicques du grand et énorme géant Gargantua » qui relate des traditions populaires d’origine celtique. En 1526 « La légende joyeuse de Maistre Pierre Faifen » (fai : fée) par Charles Bourdigné mentionne l’histoire de Gargantua comme un ouvrage populaire.
Billon d’Issoudun est cité par Henri Dontenville dans « Les Dits et Récits de mythologie française » en tant que premier rédacteur des « Grandes Chroniques ». Avant cela François de Tours, évêque de Paris en 1519 se fait voler ses manuscrits pendant son incarcération à Vincennes.
On remonte encore dans le temps où au XIIe siècle Geofroi de Monmouth et Girand de Bary faisaient de Gurguntius un personnage historique, Roi de Grande Bretagne.
La piste me guide finalement grâce à Batfroi vers Belenos le dieu solaire celte qui d’après H.Gaidoz dans son « Essai de mythologie celtique » de 1868 signale que Gargantua dérive philologiquement de Gurgant participe présent de garg et son dérivé latin Gurges et français Gorge qui signifie avaler, dévorer . Gurguntius, Gurgiunt, Gargant à l’origine de Gargantua serait donc l’Hercule gaulois fils de Belenos.
Le géant dévorait ses victimes humaines que les Gaulois selon César faisaient brûler dans d’énormes mannequins d’osier lors des fêtes du Solstice d’été à l’origine du Feu de la Saint Jean. La « désinformation » pour nuire à l’étranger ou à l’ennemi ne date pas d’hier.
Le bois de notre Gargamelle éponyme a donc une vague parenté étymologique avec le Gargamel mangeur de Schtroumpfs de Peyo. Pas de profondes gorges non plus dans ce plateau argileux des Chambarans entre les ruisseaux de l’Aygue Noire et de Clairfont. Par contre il existe une source près de la maison de pisé écroulée de deux « anciens » que j’ai connu à l’Hôpital, deux frères qualifiés de « bretaux » par les gens , c'est-à-dire pas bien cuits en patois d’ici. Braves comme tout, je me souviens du « Jules » avec son gilet noir et sa montre à gousset, son « oignon » comme il disait. Il mettait la table à la salle à manger de Maison de Retraite. Le « Pierre » plus sauvage partait avec son « dayon » (sa faux) sur l’épaule faucher les talus. Je ne pense pas qu’aucun d’entre aux aient goûter du Schtroumpf.
Une antique voie reliait la Bièvre à la vallée de l’Isère pas le Chemin de l’Estrat, Voie d’échange sur un axe gallo-romain il n’est pas impossible qu’un culte ancien soit né dans ces bois loin de tout. Le peuplement n’a vraiment commencé que lors de la Charte de juillet 1294 du Dauphin Humbert I er. Il fait du Mandement de Chambaran une zone ou il accorde exemptions et privilèges aux habitant de Roybon. Droits de chasse, d’essartage et droit de hallebotage (ramassage du bois). Cette charte modèle le paysage en petites parcelles défrichées au milieu de la forêt, offrant cet aspect d’habitat dispersé surprenant en contraste avec un bourg étroit et ramassé entouré de ses mûrs d’enceinte.
La parcelle de Gargamelle avec sa source , sa prairie de 3 hectares, sa maison, ses bois est visible sur la carte IGN 25000 St Etienne de St Geoirs 3134 E.
La promenade à pied dans le bois dit « Secret » est gage de mystère et de découverte comme la rencontre d’un cerf et plus énigmatique encore : son brame dans le silence de la combe de Passardière.
Histoire secrète des Alpes : Séverin Batfroi
« Les Dits et récits de mythologie française. » Henri Dontenville
« Essai de mythologie celtique » H.Gaidoz 1868 cité par H.d’Arbois de Jubainville
Patrimoine en Isère Chambaran, Musée Dauphinois/conservation du patrimoine de l’Isère
Dans les pas des écrivains en Rhône-Alpes : Anne Buttin, Nelly Gabriel.
Pantagruel, Gargantua de François Rabelais
Almanach du « Vieux Dauphinois » année 1991
Internet : tout l’attirail habituel de Google à Wikipedia mais en particulier le site « Persée ».
N.B. : une chambre à bulles servant à la recherche des bosons W et la mise en évidence des « courants neutres » ( physique quantique) au Cern en 1973 porte son nom : Gargamelle.
Sa sépulture des temps modernes est
moins poétique que l’île de Tombelaine (à gauche sur le cliché) dans la baie du Mont Saint Michel. Dans Gargamelle, il y a gamelle et
c’est proche d’un chaudron alchimique moderne que l’humanisme de Rabelais reste d’actualité.