La cabane de Nain.
Passé le cairn du col , il n'y eut pas de surprises, les indications du Porteur se sont toutes avérées utiles , judicieuses et justes. La neige sur ce versant nord en hémisphère sud était moins profonde, Manos et les siens eurent tôt fait d'atteindre le champ de lapiaz sec et stérile où ils ont même aperçu l'ombre fugace d'un gros lézard de montagne, une espèce sensible en voie d'extinction propre au biotope si particulier des ces zones calcaires et sans eaux dont la maigre végétation calcicole présentait l'unique apport nutritif pour ces animaux frugaux et discrets.
Pas de pelouse alpine de transition , mais plus bas sous une masse permanente de nuages, la haute forêt pluviale avec ses à pics, ses sangles que quelques sentiers parcouraient. C'est sans appréhension qu'ils sont entrés dans la mer de nuage, épaisse, en quelques mètres la visibilité devint presque nulle.
Chasseurs anciens, mais depuis quelques siècles, les Nains en quête de minerais rares fréquentaient ces régions inhospitalières qui demandaient une autonomie à toute épreuve pour y survivre.
Bien que parfois, sur une fausse piste, malgré l'intuition de Pat, ils ne comptaient plus les dénivelés. Parfois au bord d'une falaise, il leur fallait rebrousser chemin et prendre une autre direction, remonter des pierriers glissants, s'accrocher à des pins déformés pour passer une courte barre. Les cairns étaient parfois enfouis sous des lianes, des clématites, des lierres rampants, ou, carrément éboulés dans une combe suite à la chute d'un arbre mort de vieillesse, ce qui était plutôt réconfortant pour leur quête, bien qu'ils savaient pertinemment que le « Raisin de Renard » était inconnu en dessous de l’Équateur.
Mouillés jusqu'aux os, une large piste s'est ouverte devant leurs pas, au loin une belle perspective s'échappait sous le couvercle de plomb des nuées, le petit édifice de pierre faisait figure de grotte, de trou, de baume succincte, il l'aurait peut être manqué si une faible fumée n'avait pas stagné dans le sous bois. L’absence de vent ne permettait pas aux volutes grises de s’élever vers la canopée, ce n'est qu'à une centaine de mètres de la porte que les odeurs du feu devenaient perceptibles à leurs narines habituées aux essences glaciales des granits, des froids abîmes, des lichens endormis quittés depuis l'aube.
La façade ne mesurait guère plus de 1 mètre 75 de haut sur 3 mètres de long. Il semblait que le savoir faire des constructeurs en pierre sèche était parvenu jusqu'ici, sans doute les Nains, habiles au maniement des pics, des burins et des ciseaux. L'angle nord bien droit, avait nécessité l'usage du fil à plomb, le linteau grossier de la porte était horizontal, l’équerre parfaite avec le dormant ne jurait pas avec les proportions de l'ensemble. Manos connaisseur aurait pu faire un cours sur le Nombre d'Or, mais la situation ne s'y prêtait pas. Sur une immense séquoia, Isaz, leur vautourTotem les avait rattrapés, il avait passé les cimes en utilisant les vents ascendants avec moins d'efforts que ces 4 êtres fatigués sans domicile depuis des jours, à bout de réserves et de forces.
La porte basse n'était pas verrouillée. Les gonds n'ont pas grincé quand Pat le Traqueur l'a poussée. En Bush-man averti, c'est avec prudence qu'il est entré le premier, peu habitué aux constructions de pierre, il aurait préféré entrer dans une hutte de branchage, un tente, même une yourte bien qu'il n'en ait jamais vu.
Au centre : une table avec un tiroir, de chaque coté un banc de bois, sur le mur du fond une cheminée ouverte fumait encore. Le feu ne crépitait pas, mais une forte couche de mousse encore fraîche faisait fumer le foyer doucement et maintenait les braises à l'abri d'une combustion rapide, il ne leur faudra qu'attiser un peu les charbons ardents avec du bois sec dont une petite réserve garnissait un des angles de la cabane pour faire repartir de belles flammes chaudes aux couleurs profondes et oubliées. Ce fut la première chose qu'il fit avant de poser son baluchon, ses amis entraient plus confiants, seul Manos fit le tour de la cabane avant d'y pénétrer en se courbant à cause de sa haute taille. Même à l’intérieur il gardait le dos un peu voûté. Il ne tarda donc pas à s'asseoir sur un des banc pour soulager une fatigue qu'il ne portait pourtant pas sur son visage toujours stoïque, les yeux confiants et la démarche sûre.
Le Porteur s'était sans doute arrêté aussi en ce lieu, il leur avait dit que le sous-bois était plein de myrtilles. L'orage menaçait, ils iraient aux myrtilles plus tard. A l'arrière de la petite maison, (masure, jas, borie) un bassin de pierre taillée recevait l'eau en abondance, Zohra eut vite fait de trouver un petit chaudron et y faire chauffer de l'eau pour infuser des herbes toniques tirées de son sac.
Au dessus de la cheminée, une petite échelle montait dans la sous-pente, Mamma Dream curieuse s'y aventura malgré les échelons fragiles , l'un manquait vers le haut.
Une petite fuite sur le toit de lauze formait une gouttière sur le plancher couvert de poussière. Dans un angle, un tonneau au sec contenait des graines de quinoa, avec une mesure taillée d'une seule pièce dans une matière inconnue douce, légère, rigide et pourtant solide. Elle ne pouvait tenir debout sous le toit, à genou avec précaution elle remplit un tissu tenu aux quatre coins afin de descendre quatre bonnes portions de fines graines nourrissantes. D'autres objets sans grande utilité avait été oubliés dans ce grenier. Une ficelle, une écuelle de terre cassée, une chaussette dépareillée, un grand mouchoir à carreau dans un état rebutant et guère encourageant ne méritaient ni une quelconque récupération, ni leur énumération superflue.
Lorsqu’elle descendit, ses amis buvaient lentement le breuvage aromatisé de Zohra, tous furent heureux d'apprendre que ce soir, ils pourraient avoir le ventre plein. Manos n'avait jamais mangé de quinoa.
Ils étaient tous en manche courte, leurs épaules fumaient ; les pelisses, manteaux , ponchos, polaires et feutres suspendus aux clous du plafond fumaient aussi. L'ambiance aurait pu être qualifiée de conviviale.
Presque à la « maison » dans cette cabane de nain, après discussion ils étaient tous tombés d'accord que ce ne pouvait être qu'une cabane de Nain, seuls les Nains avaient poussé si au sud leurs pérégrinations. Les terres de la Sylve depuis longtemps avaient été prospectées et ne possédaient en sous-sol aucun minéral susceptible d'être exploité de façon pérenne, sauf peut être un petit gisement de tourbe. Mais cela n'intéressait pas les Nains, leur science concernait des matières plus nobles selon leurs valeurs : l'or, le platine, le cuivre, rien de bien dangereux, les isotopes lourds dont les vapeurs de radon emplissaient les caves de Celtie n'étaient pas de leur compétence. Ils ne dédaignaient pas non plus de beaux cristaux, le béryl en particulier délaissant les diamants sans couleur, les rubis traditionnels et somme toute pas si recherchés que ça.
Toujours curieuse, Mamma Dream assise devant le tiroir l'ouvrit sans difficulté. Les autres, appuyés dos au mur se reposaient en silence, Pat avait sorti sa pipe d'écume de mer pour fumer les quelques grammes de tabac encore sec qui lui restaient au fond d'une poche discrète. Mamma mis les mains dans le tiroir afin d'en explorer tous les coins , quand ses doigts se sont arrêtés, tous les regard se sont tournés vers elle car son visage surpris semblait exprimer sinon la peur, du moins une expression de surprise comme si elle s'était fait mordre par une souris ou piquée par un insecte invisible caché dans les tréfonds du bois.
Avec délicatesse, elle en sortit un rouleau de feuilles de papier à dessin tenues par un bout de ficelle sans boucle mais verrouillé de plusieurs nœuds hâtifs. Elle prit l'initiative de la couper avec les dents faute d'avoir une lame sous la main. On ne peut pas dire qu'ils étaient fébriles. Manos s'est penché en avant en prenant un brandon dans le feu afin d'éclairer les pages.
Quatre feuilles de même format s’étalaient devant leurs yeux.
Le papier craquant ne s'était pas encore imprégné de l'humidité ambiante.
34.Le « Dit » de la Sylve d’Émeraude.
2.La cabane du Nain. VIII .La Croisée des chemins.