« Les intermittences de la mort ». Roman de José Saramago, sauce demi-deuil.
Seul lusophone à avoir eu le Prix Nobel de Littérature en 1998, José Saramago
possède une écriture qui semble inspirée des grands auteurs d'Amérique latine, du courant dit de « réalisme magique » comme Marqués, Fuentes, Borgès. Mais, il a un style fluide à part,
personnel.
Ayant commencé à écrire tard, il lui faudra attendre longtemps une reconnaissance
internationale. Les romans que j'ai lu de lui me font penser aussi au Franz Kafka du « Procès » et de « La métamorphose ».
Le postulat romanesque est assez surréaliste et donne dès le départ le ton et
le thème de l'oeuvre.
Dans « La lucidité » (2004)), lors d'élections nationales, le "peuple" , les
gens, décident, sans concertation préalable de voter blanc en masse. Il s'ensuit une désorganisation de la société qui mène vite à l'anarchie ou au totalitarisme.
Connaissant l'histoire politique de son pays ainsi que ses engagements personnels,
certains décrivent Saramago comme un pessimiste.
J'ai toujours lu ses pages avec un recul de second degré non dénué d'humour, de
sarcasme peut-être sur la société humaine ?
Le plus proche du « Procès » de Kafka, « Tous le noms » (1997) met
en scène presque dans un huis-clos un archiviste obscur qui a pour mission de trier les fiches d'état-civil , plus il s'enfonce dans la géométrie des tiroirs de rangements dignes des
bibliothèques secrètes d'un Carlos Zafón, plus le lecteur pénètre l'absurdité laborieuse de cette démarche. Les noms prennent vie, des personnages apparaissent, des liens se créent,
erreurs d'archivages, permutations chronologiques qui perturbent la logique très administrative du classement et lancent monsieur José dans une enquête sans précédents, loin de sa routine,
de son train-train.
Pour changer un peu des horreurs futiles de cette fin octobre, des courges de
pacotille, déguisements qui ne font frémir que les enfants en quête de bonbons, j'ai relu « Les intermittences de la mort ». (2005).
La science, les nouvelles technologies, que sais-je? Saramago ne le dit pas, il laisse
le lecteur à ses angoisses dites "métaphysiques". Le matérialisme, la société de consommation ont éloigné les hommes de cette réalité inéluctable qu'est la mort. Les vieillards, les
handicapés sont tenus à distance afin de montrer un monde lisse et parfait où le plaisir individuel est en passe d'établir une tyrannie du normal.
En épigraphe José Saramago cite un hypothétique « Livre des
prévisions » :
« Nous saurons chaque fois ce qu'est un être
humain »
Premier chapitre, premier paragraphe, première ligne :
« Le lendemain, personne ne mourut. »
On est dans le vif du sujet si j'ose dire.
Le roman se situe hors du temps et sans précisions géographiques précises. La mort rôde
mais ne frappe plus.
Au début, certains se réjouissent, mais cet état de fait ne résout pas forcément les
problèmes des hommes, parfois peu spirituels, en dessous de la ceinture ou franchement terre à terre.
Affaires, héritages, amours, attentes, maladies, handicaps, jalousies restent et semble
t il pour encore longtemps, très longtemps. Les communes surpeuplées ne peuvent plus faire face. Il faut accueillir les vieillards qui se font plus nombreux, les entreprises de pompes funèbres
font faillite, une mafia naît, combines et contrebande, roublardise, faux et mensonges. Les plumes des notaires et de leurs greffiers sèchent dans l'encrier au coté des heures vierges de leurs
actes inutiles. Clercs et bedeaux, sacristains, curés, pasteurs et ministres du culte en chômage ont revétu la robe austère et rugueuse de l'attente.
Marbriers de pierre tombale dont le ciseau tombe des mains.
Car, pour paraphraser Brel « Chez ces gens là !», on ne meurt pas... Monsieur ! La vie continue, on
vieillit.
Les amateurs d'horoscopes seront déçus et forcés de réviser leurs
pronostics.
Qui n'a pas attendu des heures, des mois auprès d'un mourant en lisant Élisabeth
Kübler Ross pour comprendre l'indicible, ne peut appréhender l'humeur légère qui remplit le cœur quand la délivrance du passage intervient ? L'infirmière qui lui a fermé les yeux parle bas
de soulagement, de fin paisible en posant sa main compatissante sur votre avant bras. On regarde le visage du decujus en lui trouvant un sourire quand bien même, factice, il a été modelé par les
soins post-mortem.
Chers, très chers disparus.
Ici, rien de tel, escarres, ulcères, délires nocturnes, frayeurs ex-nihilo, râles
résonnent dans les chambres closes et s'insinuent dans l'espace public au travers des volets. Les miroirs ne sont plus voilés de tulle noir. Fourneaux éteints, les assiettes sont de viande
froide.
Laisser-vous guidez vers un dénouement où le fantastique et la magie semblent être
l'unique solution.
Où, l'absurde est dans la réalité de notre quotidien alors que le rêve, le cauchemar,
la folie passent pour des issues raisonnables.
« Les intermittences de la mort » José Saramago. Chez
Points.