Les Zart'ifices du voyage dans le temps.
Bête que je suis, la lucarne à blaireaux n'était pas un bocal de verre mais une surface molle que les théories du chaos de Gilles de Gennes avaient contribué à concevoir. Le seul avantage à palper des cristaux liquides c'est qu'ils ne sont pas soumis à l'équation de Boltzmann : « S=KlogW » sur l'entropie, car traversés sans cesse par un courant en nano-voltage induit qu'un générateur nouvelle génération diffusait en continu, ils étaient soi-disant plus stables qu'un tube cathodique ?
Le script de l'émission passait à l'envers devant mes yeux, j'ai du faire preuve d'imagination pour comprendre que les VIXX en chiffres romains étaient en réalité XXIV , effet miroir oblige.
J'avais donc parcouru quelques 3 siècles dans le futur par le vortex du sablier géant dans lequel je m'étais fait surprendre devant les ruines de la grange de Pedrito.
« Pauvre Jorge » aurait-il dit. Il connaissait tout des choses simples et du jardinage mais les arcanes de la physique quantique lui étaient étrangères. Il m'avait expliqué les théories de la réplication de l'ADN par l'ARN messager, mais loin de promouvoir les manipulations génétiques artificielles, il était plutôt partisan d'une lente observation de ce que la nature proposait d'elle-même. Reprenant souvent la sentence de son Maître Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». Les mois que j'avais passés à l'aider dans son exploitation de tomanzanillas avaient suffi à m'enseigner que sur Zart' aussi tous les excès étaient possible. Sa clairvoyance en a fait les frais et l'arrivée d'Esmezarta m'a prouvé que je devais rester sur mes gardes, malgré le tape à l’œil des innovations de cette planète surprenante.
J'en étais là de mes réflexions, autiste aux commentaires de l'autre côté de l'écran plasma, une agitation de bistrot certainement assez différente des « Bouchons Lyonnais » de mon enfance. Ici on ne donnait pas de notes au Beaujolais nouveau, les Aliens qui fréquentaient le lieu élargissaient la conversation par la nouveauté de leurs voyages extra-zartiens, leurs dérives aux confins du temps.
Ils étaient loin de se douter que j'étais bien contre mon gré l'objet d'une expérimentation inédite.
La face blanche que j'avais aperçue lors de ma chute dans l'infiniment petit, la translation de macro à micro-état n'était pas venue de mon subconscient mais induit par un flux magnétique inhérent aux nombreux facteurs présents à cet endroit et à ce moment (t/s) x e.
L'univers quadridimensionnel d'Einstein devenait une réalité. Nul besoin d'avoir étudié la Kabbale et ses arcanes pour comprendre que lorsque le psychisme, le physique, le social, le mental, l'intellect, l'intérieur, l'extérieur sont en phase ascendante et que les bio-rythmes se croisent sur un nœud asymptotique, j'aurais dû faire valoir mes habitudes rurales de jardinier pour ne pas tomber dans le piège du temps.
En effet lors des nœuds lunaires, le jardinier se repose, ni il ne sème, ni ne bine, ni ne repique, ni ne récolte, ni ne désherbe, ni ne plante, ni ne marcotte, ni ne taille, ni ne greffe, c'est le Shabbat du jardinier.
Trop tard ! J'attendrais, en espérant que le patron coupe le courant vers 3 heures du matin avant de fermer sa boutique. Là, dans le noir cosmique des cristaux au repos je pourrais éventuellement mettre en place la stratégie du non-être.
Mes heures sur le bord d'un rocher de granit assis en lotus vers les sources du Gange allaient m'être utiles.
Faire le vide.
Je vous entends déjà.
« C'est dépassé, révolu. »
Ou bien :
« Ne dis pas que l'esprit à pouvoir sur la matière ! »
Je n'allais pas ni relire « le Yogi et le Commissaire » d' Arthur Koestler, ni son « Zéro et l'infini ». « Les Somnambules » malgré une documentation dense était un ouvrage daté depuis Turing, Schrödinger et Fermi. Le « Matin des magiciens » de Pauwels et Bergier ayant eu son succès lors de sa parution en 1960 n'était plus considéré que comme une belle introduction à la S.F. Fantastique. Au sortir des abominations de la seconde guerre mondiale sur terre, le scientisme du XIXe siècle pourtant désuet refaisait surface. Les mages de tous bords, les Gurdieff, les expériences psychiques sous hallucinogènes de Huxley, délaissées par la science n'avaient trouvées des pionniers incultes en matière d'équations que parmi les peintres, les romanciers, les poètes, les musiciens : Kerouac, Jim Morrison, Dali, Breton, Jefferson Airplane...j'en oublie et j'étais bien moi-même devenu « Underground » dans le noir cosmique de la petite boite de bakélite guillochée qui trônait sur le guéridon de formica au fond de la salle enfumée du bar désormais vide.
Vide, solitude et silence : là étaient les réponses à mon enfermement bien involontaire.
J'ai fermé les yeux.
La mire de l'ancienne ORTF m'est apparue plus neutre que jamais. Il m'a fallu lutter contre tous les souvenirs d'enfance où, quand les parents étaient couchés, je regardais « Les Raisins verts » de J.C.Averty en cachette et que je me réveillais vers 3 heures du matin soit devant la neige d'un écran noir, soit devant cette mire mystérieuse et indéchiffrable.
Un effet Larsen interférant s'est insinué entre mes deux systèmes cochléo-vestibulaires faisant vibrer mes tympans à des fréquences jusqu'alors supportables mais vite douloureuses voir dangereuses pour les fragiles membranes. Comme lors de la descente dans le maelström de sable, j'ai perdu connaissance. J'ai revu le « Zartube » que nous avions traversé avec Zork IV lors de la traversée du trou noir.
Un oiseau, un ange blanc, un ectoplasme, un spectre blanc translucide dans celui multicolore des fréquences de l'arc-en-ciel, un hologramme pâle, une forme sans matière palpable et en silence s'est approchée par saccades kaleïdoscopiques distordant la mire comme un prisme réfracte la lumière. J'aurais parlé d’ovni si j'avais été sur terre , de NDE ou EMI si j'avais été malade, anesthésié sur une table d'opération les artètes gonflées de psychotropes légaux sous contrôle. Mais dans ce cas précis j'étais bien malgré moi immatérialisé entre les cristaux de cet écran plasma soumis aux champs magnétiques aléatoires par chance inactivés de la main routinière de Joss.
Une onde alors en basse fréquence sur laquelle les quelques neutrinos, quarks, bosons, photons qui constituaient encore mon moi se sont embarqués à cheval sur une chimère comme une sorcière chevauche un balais.
Le tube a explosé.
J'étais étendu sur le carrelage froid, l'arcade sourcilière légèrement coupée mais qui saignait abondamment. J'ai porté ma main à mon front, sorti un grand mouchoir à carreaux de ceux que ma mère m'avait donnés avant mon départ de la maison. Assez grand pour m'en faire un bandana, je l'ai noué fermement pour stopper l'hémorragie. La porte de derrière était restée ouverte distillant sur mon visage un air frais, revigorant et ravigotant.
Je suis sorti dans la nuit noire d'encre, sèche, d'hygrométrie proche de 10% non sans avoir fauché une canette de Ginger Ale. Le patron ne m'en voudra pas. Quitte à faire la plonge une ou deux soirées en compensation des dégâts que j'avais causé dans son établissement.
Pour une fois, aucun astre ne brillait dans le ciel de Zart' . Seules des traînées fulgurantes rayaient l'horizon vers l'est.
Le Spatioport inter-modal ne dormait jamais, les fuseaux horaires multi-mondes étaient des maîtres impitoyables pour le voyageur spatial que je me destinais à devenir.
Carnet de voyage sur Zart' page 11.
Les amateurs de ce conte genre « S.F.Fantastique » peuvent en retrouver le début dans la rubrique « J'aime » : Contes et histoires sur la droite de la page de blog.