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Publié par FMarmotte5

J'ai essayé tant bien que mal de me mettre debout. Le sang ne coulait plus sur mes joues, il était remplacé par de grosses larmes salées qui avançaient avec lenteur, leur viscosité due à la forte teneur en NaCl ne m'étonnait pas.

La chaleur nocturne parvenait même à les cristalliser sur l'arête fine de la mâchoire inférieure. Celles qui s'arrêtaient à la commissure des lèvres, je les goûtais de la pointe de la langue.

La brume épaisse formait une nappe jusqu'à la hauteur de de mes genoux, occultant les irrégularités du terrain qui requerraient la mobilisation de tous mes sens pour tenir en équilibre. Le noir voluptueux formait de fausses images, sculptaient la profondeur de la nuit comme lors d'un départ vespéral pour une course longue de montagne. Les jours blancs aplanissant le relief d'une pente de neige semblaient ici une vapeur grise échappée de la tuyère sulfureuse d'une bouche à gaz d'un volcan changeant dont nulle carte ne faisait mention.

C'est ainsi que j'ai repris pied dans la réalité temporelle. Le voyage dans le temps, les replis de chronos devrais-je dire ne m'avaient pas bien réussi. J'en étais à prier pour que les vétustes théories newtoniennes soient érigées en dogmes et commandements. Les hommes ne vivaient-ils pas mieux sous Aristote en croyant au géocentrisme ?

L'océan était là sur ma droite, les deux lunes de Z'art lui donnaient des marées irrégulières que seuls les plus subtils pêcheurs de Z'artgol pouvaient saisir sans la feuille horaire des marées éditée sur les Z'artphone 3D et de larges panneaux holographiques sur les zones autorisées.

Car il ne faut pas croire que malgré toutes les atrocités que j'ai décrites sur cette Astrocité, Z'art soit un monde parfait. Sous des aspects de démocratie, de libre-entreprise, d'initiatives innovantes, d'expériences parallèles, une force indiscernable dirige les esprits, module les motivations avec une valeur érigée en doctrine suprême : « Le maintien de la vie ».

Quoi de plus noble me direz-vous ?

Après les nombreux échecs de mondes technologiquement évolués, Z'art avait opté voilà déjà plusieurs traversées quantiques vers une explosion de diversité non seulement dans le domaine biologique mais aussi en politique, création artistique, relations humaines. Jusque là cette expérience unique dans le cosmos avait porté ses fruits et évité le monolithisme culturel, la sclérose des communautés.

Le temps donc ne tournait pas le même pour tout le monde ici. J'avais bien sûr noué des liens d'amitiés, cru percevoir des références, des valeurs, des bases solides sur lesquelles j'avais pensé ne plus être ni touriste ni voyageur. Je devais laisser mes a priori d'ethnologue de comptoir d'anthropologue de bibliothèque. J'avais dans ma poche « La pensée sauvage » de Claude-Levi Strauss, mais les archétypes de langages ici n'avaient plus de sens. Un tel brassage cosmique, un ciel et une végétation nouvelle, des échanges interstellaires nécessitaient de faire « tabula-rasa» de mes savoirs sans retomber dans l'utopie « Atlantis nova » de Bacon.

A quoi bon, j'avais d'autres priorités : manger, dormir.

Je ne comptais plus mes pas, bercé par le rythme lent des vagues qui se brisaient sur la grève, je marchais vers le nord où, malgré le noir, lueurs et formes se détachaient de l'horizon.

Impossible de dire combien d'heures se sont écoulées, si ça se trouve obnubilé par la fatigue, l'anémie latente qui me guettait, j'ai peut-être perdu connaissance et quelqu'un m'a traîné jusqu'à ce monument digne de la 2de guerre mondiale terrestre.

J'étais appuyé sur le piédestal d'un court obélisque surmonté d'une sphère remplie de brumes dorées. Une gerbe fraîche et odorante avait été déposée il y a peu , car un photophore au centre brûlait encore. La cire ne s'était consumée qu'au tiers, pas de vent, la flamme ne vacillait pas.

À perte vue des sphères étaient posées au sol de façon fort régulières, n'étant pas elles-mêmes de dimensions identiques, l'impression de perspective donnait le tournis. À moins que ce soit mon état de faiblesse ?

Je me suis retourné afin de déchiffrer le texte de la stèle. C'était du Z'art ancien , mais les quelques notions que j'avais acquises chez Pedrito suffiraient bien, du moins je le croyais. Ezmeralta malgré son intérêt pour le commerce et les transactions financières avait une part d'ombre aussi, elle collectionnait les documents anciens. Quand elle était en voyage d'affaire pour étendre le réseau de vente des tomanzanillas, je passais mon temps libre (malgré une forte dyslexie digitale acquise lors de clavardages juvéniles) à me connecter sur ses écrans digitaux dont les logiciels tactiles déchiffraient hiéroglyphes, runes et Z'artextes.

Voici grosso modo ce que disaient les hiéroglyphes Z'artiens de l'omphalos solitaire.

« Plus jamais çà ! »

« En l'honneur de ceux qui ont sacrifié leur Moi

A la survie de l'Universel.»

Suivait une liste de noms et de dates, de différentes ères, quand le regard arrivait au bas de la colonne la barre de texte remontait, se déroulait comme lors de la lecture d'une Torah horizontale.

Le nom de famille Tumal revenait souvent. Notre ami et pilote devait faire partie d'une aristocratie dévouée à la survie de ce monde.

« Azac Tumal ! »

À peine avait-je prononcé son nom que la sphère surmontant l'obélisque s'est éclaircie, le brouillard dissipé j'ai vu le visage transfiguré d'Azac. Sans ses appendice nasaux, j'avais du mal à le remettre mais son aura était si forte que les doutes ont vite été chassés.

Ceci n'était pas une « hevra kaddisha ».

D'une voix que je ne lui connaissais pas, empreinte de paix il m'a souhaité la bienvenue. J'étais désormais accueilli parmi les leurs. M'invitant porter un regard circulaire sur l'horizon , il s'est mis à citer les noms que j'avais lu sur le menu déroulant eu haut des trois marches de lapis-lazuli au sortir de la nuit.

Les sphères, des plus proches aux plus éloignées s'élevaient dans une brillance dorée, les unes après les autres chaque fois qu'un nom était prononcé. À quelques mètres l'une d'entre elles était ouverte, un feu y brûlait, c'était celle d'Azac Tumal.

« Nous avons la mémoire de tous et tous ont la mémoire de chacun. »

Évoquant la « Noosphère » chère à Teilhard, j'ai eu l'impression de percevoir un savoir universel, étrange communion qui m'a rappelée certaine expérience mystique de l'adolescence en regardant un lever de soleil à Malataverne après une nuit blanche à écouter du folk rock et croire que le monde allait changer, ignorant le flot des voitures sur l'A7 en dessous qui filaient vers les plages du midi.

Qu'y avait il de nouveau sur Z'art, l'uniforme de mon ami était constellé de décorations dignes de la poitrine d'un apparatchik russe lors d'un défilé de missiles sur la Place Rouge. Déçu, mes illusions tombaient à l'eau.

Le visage réconfortant s'est effacé, virant au bleu, les battements d'un cœur mécanique ont pris la place de la litanie maintenant inutile. Le temps s'égrenait au rythme des forces qui revenaient dans mes artères.

Le photophore s'est éteint, l'aube naissante estompait les étoiles rares, les galaxies lointaines, les mondes inexplorées, j'étais seul encore une fois.

J'ai cueilli les fruits proposés en offrande sur la gerbe des anciens combattants sans arrière pensée de sacrilège. La chaleur montant vers l'est commençait à remuer l'air en volutes de mirages prometteurs.

Marcher, marcher, marcher au rythme du lent tic-tac de l'horloge cosmique qui dans la sphère avait remplacé le visage bleu du pilote du spatioport de Garzdül. Adieu. Je me suis léché les lèvres, le sel de mes larmes était toujours là.

Croquer une tomanzanilla et retrouver les espoirs, l'innocence des premiers jours.

Un fleuve calme barrait l'horizon, une petite passerelle frêle permettait de le traverser. De fortes élingues de kevlar étaient les seuls support aux planches du tablier. D'un côté j'avais les flots bruns chargés d'alluvions qui pénétraient l'immensité azur comme une semence bienvenue, de l'autre, un immense marécage en contre-bas récoltait des eaux venues de je ne sais-où. ?

Je n'ai jamais visité la Hollande mais c'est comme ça que je me représentais les polders et les terres basses, fragiles de ce pays façonné par l'homme. Ici, ni Holstein blanche et noire, ni plantations rectilignes et multicolores de tulipes à perte de vue, seul un moulin à vent digne d'une toile de Bruegel tournait lentement n'ayant jamais entendu parlé ni de Quichotte ni de Daudet, sa voilure immaculé frémissait sans pour autant fasseyer.

Les toiles étaient bien bordées, une légère brise de terre à cette heure matinale invitait au départ, mais nulle barque ne voguait sur les eaux calmes. J'aurais bien vu une nef aux voiles latines, un catamaran primitif.

Je me souviens avoir chanté et su que la saison changeait. Un vol compact de cigognes est passé en formation que Z'artmul aurait qualifié de « combat ».

Les mots comme ceux-ci n'étaient plus de mise, une paix singulière régnait sur le monde sinon dans mon cœur. J'aurais bien moi aussi migré avec les cigognes, vers quels rivages, je n'avais encore jamais entendu dire que Z'art possédait d'autres continents ?

Carnets de voyage sur Z'art' page 12

Rencontre de Haz'art.
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Q
Je suis revenue en arrière pour voir si ça s'était arrangé... pour mon plus grand plaisir, oui.<br /> J'aime ces moments où je ne sais plus trop si je vais pouvoir retourner dans notre monde à nous après avoir suivi les pas de ton héros.<br /> <br /> Je crois que la lutte pour la vie est importante... et que le reste vient ensuite, lorsque la vie n'est plus un problème. Regarde ce qui se passe aujourd'hui...<br /> <br /> Tes illustrations sont superbes !<br /> <br /> Passe une douce journée.
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Q
Oups... Qu'es-tu en train de faire ? Je ne peux plus lire ton billet, il est écrit en blanc sur blanc... :(
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M
Bon, le Pieris je ne sais pas si il se marcote sans doute que oui, mon Mahonia est devenu très grand sur la butte c'est beau aussi...<br /> Chouette cette illustration Pierre !
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C
Je ne me souvenais pas d'avoir lu cette page, mais je m'étais régalée avec celles que j'avais lues.<br /> Bravo pour ton nouveau design :)<br /> Bonne fin de journée :)
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