Erratum ou codicille.
J'ai été très occupé cet été, jardin, marche, conserves, lectures.
Hier lors de la grosse pluie, je suis resté dedans a trier les noix.
J'ai ouvert le poêle afin d'y brûler les « cacareux », c'est les mauvaises, les premières tombées, ça démarrait pas bien alors j'ai tiré le carton de papiers à côté pour allumer.
Il faut dire que malgré l'étiquette sur la boite aux lettres « Non à la pub. », chaque semaine je vide bien 1 kilo de papier de toutes sortes.
Il est curieux qu'en prenant de l'âge les réclames soient pour ainsi dire ciblées : monte-escalier, prothèse auditive, rencontrer l'âme sœur après 70 ans, changez de literie …
Dans le tas de papier je tombe sur le journal local qui est distribué dans les boites aux lettres tous les 3 mois, celui-ci, du printemps 2012 n'avait pas été ouvert, encore dans sa manchette, signe de mon peu d'intérêt à la vie locale.
Outre les divers projets communaux, la page des associations, les heures d'ouverture de la déchetterie, un mot du nouveau boulanger, le numéro du premier trimestre offrait une page « Etat Civil » avec « Carnet blanc » des mariages de l'an passé, «Carnet rose » des naissances et comme la Maison de Retraite avait son lot de décès, une page « Avis de décès » était bien remplie.
Je n'ai pas trop l'habitude comme certains anciens de lire cette rubrique, je n'aime pas les enterrements. Assis sur le petit banc près du feu j'ai pour une fois scruté la page bordée de noir de la feuille de chou.
Rangés par ordre alphabétique s'alignait les noms d'inconnus, de voisins, de conscrits parfois, partis trop vite, regrettés ou non, soulagés de leur souffrance, abandonnés ou entourés, un quotidien au rythme de la sonnerie du glas.
J'habite dans les bois, alors je n'entends pas la cloche.
« A : personne
B : Bretignac, Bertain …
C , D, E ….. »
Quand je travaillais et que je tombais sur quelqu'un qui lisait la rubrique nécrologique, je lui disais toujours :
« La première chose que je regarde c'est si il y a pas mon nom ! »
Ce jour là j'aurais pu me répéter cette plaisanterie à moi-même, car à la lettre P :
Pastougnac Marcel.
Pas de date, juste le nom, j'ai pensé à une « coquille » la presse locale n'a rien à voir avec le « Monde diplomatique », il y a peu, le texte était tapé sur un stencil pour le passer à la ronéo.
Mon sang n'a fait qu'un tour.
C'était lundi jour de marché et de permanence du notaire, il me fallait régler ça dans les plus brefs délais.
Il est vrai qu'ayant changé mes dispositions funéraires, j'étais allé à la mairie afin de me renseigner si on pouvait sceller une urne funéraire sur la pierre tombale familiale. Il faut vous dire que le caveau est « plein comme un œuf » pour reprendre la chanson de Brassens alors j'avais pensé que ça coûterait moins cher de me faire incinérer.
L'employé de mairie n'a sans doute pas bien compris ma demande, sans lever la tête de son registre il avait gribouillé une note en marge en me tendant une circulaire dont l'information essentielle était un décret municipal sur l'utilisation du columbarium, poétiquement nommé « Jardin du Souvenir ».
Ce lundi , j'ai eu vite fait de changer d'habits, troquant ma cote de jardinage et mes croquenots contre un pantalon de velours vert, une chemise à carreaux (pas besoin de faire du repassage je les fait sécher sur un cintre), des baskets..
Mon parapluie et en route !
Il me faut moins d'une heure pour aller au village, ça descend, pour revenir ça monte bien sûr alors c'est un peu plus long.
Le marché battait son plein c'est peu dire, le marchand de plants n'était pas là, à cette saison il n'y a plus rien à repiquer, reste le marchand de fromage, un producteur local de miel, quelques habits sur des tréteaux, des blouses de ménagères de plus de 50 ans, 3 « Desperate housewives » causent devant la Statue de la Liberté, rien de bien nouveau dans la série, ici ce n'est pas Dallas, je ne manque rien en n'y allant pas.
Je n'ai pas eu besoin de monter dans la salle d'attente du notaire, pour se dégourdir les jambes, il était allé acheter le journal au bureau de tabac. En descendant les quelques marches il s'est arrêté avant de traverser la rue. Il a raison, un angle de maison cache la venue des voitures du bas, les trottoirs étroits de ce vieux village de Havreberge sur Galur ne sont pas adaptés à la flânerie, on attend la déviation pour les aménager... mais qui dit déviation dit moins de passage au village... moins de fréquentation des commerces... bref on en sort pas.
Je suis allé serrer la main au notaire en lui glissant ce mot à l'oreille.
« Je ne suis pas encore mort ! Le De cujus vous salue.»
Comme il vient d'un autre village il n'était pas au courant de l'avis de décès sur le journal local.
En deux mots je lui explique la situation.
« Alors faudrait-il écrire un codicille, cher Maître? »
A mon grand étonnement il a éclaté de rire.
« Un codicille, a ma connaissance vous n'avez pas l'intention de changer vos dispositions testamentaires ?
Vous écoutez trop les textes de ce vieux Georges. »
«Je n'avais pour référence que les textes posthumes de François Villon. » lui dis-je.
« C'est un erratum qu'il vous faut publier. Et ce n'est pas de ma compétence. »
« Merci Maître, pour le conseil, passez une bonne journée et … je ne vous dit pas à bientôt !»
Il aime bien quand on lui donne du « Maître », dans les petits villages on a encore le goût de la notoriété.
La permanence du journal était ouverte, il m'a fallu moins d'un quart d'heure pour demander au bénévole chargé de la presse de faire paraître un erratum dans le prochain numéro.
Erratum :
« Suite à une information erronée il a été annoncé dans le numéro de mars 2012 le décès de Marcel Pastougnac, le journal tient a rectifier cette information, c'était une erreur ; Marcel Pastougnac est bien vivant. »
Je ne connais plus grand monde depuis que je suis à la retraite, le petit jeune m'a montré la belle imprimante couleur, il ont bien essayé de le faire publier en offset mais ça coûte cher et ça manque de souplesse,
L’ordinateur est plus pratique. Bientôt le journal ne sera plus au format papier, pour protéger l'environnement m'a t'il dit les gens recevrons un mail lors de la parution au format PDF du journal sur le site de la commune. Un tournant, les anciens vont rester sur la touche, c'est le cas de dire.
J'en ai profité pour faire un tour au cimetière, dans un champ paissait Lubie, la jument d'Alfred. Elle est gentille et bavarde mais elle un peu trop portée sur l'herbe, normal une jument. Alors parfois elle a des lubies, des hallucinations, elle bavarde, gamberge, radote, jargonne, une vraie pipelette pour ne pas dire commère.
Elle s'est approchée de la barrière et je lui ai dit.
« Tu n'auras pas besoin de t'atteler au corbillard, je vais me faire incinérer. »
En secouant la tête j'ai bien cru qu'elle riait, j'avais dans la poche de ma veste un vieux croûton de pain sec que je lui ai tendu. Elle n'en a fait qu'une bouchée. »
De retour à la maison, j'ai continué à trier les papiers, j'ai retrouvé le faire-part pour le « Mariage ». je n'aime pas trop les mondanités, ni mettre une cravate, faire la conversation à des gens qu'on ne voit que pour les enterrements et les mariages.
La nièce est gentille, en plus elle aime lire, je crois que je vais retourner voir le notaire pour un codicille , un vrai cette fois et léguer à la mariée mes quelques ouvrages dans « la Pléiade ».
La pluie a continué toute la journée, disposé à lui faire un courrier, je suis allé chercher la grande valise en carton où je range les photos anciennes.
Lui en envoyer quelques unes permettrait de renouer, de reprendre contact.
et cette vieille photo de Castor, le chien noir qu'elle aimait tant et qui venait se secouer dans les jambes quand il sortait de l'eau du canal.
Exercice d'écriture autour du thème du « mariage » coordonné par : « Les Anthologies Éphémères ».
Objectifs : suite aux expériences heureuses des dernières parutions, l'objectif de ces anthologies est de faire un don à l'Association « Rêves », pour les enfants malades.
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"J'ai cru bon de remettre à jour mon testament, de me payer un codicille..." G.Brassens