Le Père Noël lycanthrope. Anti-conte de Noël.
« Cette année là , les enfants n'ont pas eu de cadeaux... »
Lorsque ma grand-mère a commencé la lecture de cette histoire, j'y croyais encore. Mes parents venaient de m'emmener voir les automates des vitrines des Galeries Lafayette le long des quais du Rhône. Ils avaient même accepté que je monte sur les genoux d'un Père Noël de marketing avec une poupée sur les genoux.
La photo est là sous mes yeux, les couleurs sont un peu fanées. Mes cheveux blonds et longs encore pour mon age, 15 mois, à moins que ce soit l'année d'après alors, 2 ans et 3 mois, ils auraient voulu avoir une fille?
De toute façon je n'ai pas de souvenirs d'enfance. Pour mon premier Noël j'ai eu un ours marron, je l'ai encore, il prend un peu la poussière sur une étagère aux côtés de livres, d'une collection de marques-pages et de pierres rondes diverses collectées lors de marches.
« Cette année là, les enfants n'ont pas eu de cadeaux ... »
En soirée, nous étions allés voir Blanche Neige sur écran géant au Comoedia, il y est encore Avenue Berthelot. Nous avions mangé une choucroute à la Brasserie Georges et traversé à pied le Pont Gallieni. La vieille traction 11cv était garée Place Carnot. C'est mon père qui m'a raconté cela plus tard et c'est devenu un souvenir. Imprimé dans ma mémoire grâce à la photographie, je suis bien obligé d'y croire.
« Cette année là, les enfants n'ont pas eu de cadeaux ... »
La voix de ma grand-mère est toujours présente dans ma cervelle d'enfant, je suis assis sur un petit fauteuil en osier. Assez rigide, ma grand-mère ne me prenait jamais sur les genoux. Son devantier noir était noué à la taille serré comme son chignon derrière la tête.
Était ce un livre qu'elle tenait dans les mains, avait elle les avants bras posés sur les accoudoirs d'un fauteuil vermoulu ?
« Cette année là, les enfants n'ont pas eu de cadeaux ... »
Mes parents ont eu la télévision très tôt, un petit écran dans un cadre de bois travaillé, encastré dans un buffet de cuisine. Mon père couché tôt ne regardait que le journal télévisé. Il se levait à 4 heures du marin. Cette année là, un dimanche après-midi, à moins que ce soit le jour de Noël ou bien la veille, j'avais vu les « Trois Petits Cochons » en dessin animé, encore un Disney de 1933, diffusé en noir et blanc.
Je n'ai pas eu peur. Les loups étaient des personnages de contes de fée encore, c'était dans le vieux temps comme dit mon petit-fils.
« Cette année là, les enfants n'ont pas eu de cadeaux... »
Où avait elle bien pu trouver cette histoire ?
Avais-je été sot ?
Un peu sorcière, ma grand-mère ramassait les herbes sauvages, la table de sa salle à manger où, d'ailleurs personne ne venait jamais manger était couverte de feuilles de journaux sur lesquelles séchaient des plantes : bouillon blanc, racines de gentiane, orties, marjolaine, thym, hysope et d'autres non identifiées. Des tubercules aux formes humaines, des doigts crochus trempaient dans des alcools, des dilutions aux sucres, aux essences aromatiques, des plantes tinctoriales dans des flacons que le soleil du matin illuminait en un arc-en-ciel éphémère, sur la nappe une aquarelle lumineuse dansait, fragile quelques minutes pendant que j'écarquillais les yeux au réveil avant de boire mon chocolat où trempaient 2 chocos BN.
« Cette année là, les enfants n'ont pas eu de cadeaux ... »
J'ai cherché ce conte depuis, pas d'images, pas de texte, aucune référence dans le fichier de la bibliothèque municipale, ni dans Google, ni dans Wikipedia. Elle devait me le réciter, me le conter de mémoire comme cette autre histoire d'un bébé trouvé dans un panier d'osier, des sous-entendus, des non-dit. Le roman familial, avec ses mystères, j'ai su par la suite que le grand-père s'était pendu quelques années auparavant. Austère ma grand-mère ?
Je ne l'ai jamais entendue rire, ni vue pleurer.
Elle ne me prenait pas sur ses genoux, mais elle racontait des histoires.
« Cette année là, les enfants n'ont pas eu de cadeaux."
Comment auraient ils pu en avoir ?
La misère rodait dans la campagne, il n'était pas tombé de neige mais un vent glacial soufflait depuis la Toussaint. Les réserves de bois étaient épuisées, les cheminées étaient colmatées dès que la soupe était cuite. A la tombée de la nuit les portes et les volets étaient rabattus. La lampe à pétrole soufflée une fois la louche de bouillon engloutie.
Les almanachs l'avait annoncé, un phénomène rare qui n'était pas intervenu depuis 37 ans. La nuit de Noël de cette année là, cette année où les enfants n'ont pas eu de cadeaux, la pleine lune brillerait au zénith à minuit. L'église était trop loin de cette maison aux volets clos et l'âtre éteint, le vent emportait le son des cloches vers un autre horizon. Voilà pour l'ambiance, le décor en somme, dehors, imaginez des branches d'arbres dénudés qui s'accrochent aux habits, des hiboux sombres qui rasent les cheveux, des chauves-souris en ombres chinoises sur le disque de la lune.
Le Père Noël était bien parti dès la tombée de la nuit sur son traîneau tintinnabulant aux grelots de rennes fringants. Il suivait d'est en ouest la venue du soir quand il est arrivé dans cette région désolée balayée par un blizzard féroce.
Les forêts étaient denses, sans boussole, pour la première fois de toute sa carrière, il du bien se rendre à l'évidence : il était perdu. D'un coup de fouet sec dans l'air glacial et figé, il fit atterrir son équipage dans une clairière. Il voulait faire le point , sortir son GPS, mais aucun réseau ne daignait envoyer le plus petit signal.
Il se prit la tête dans les mains et aperçut, dépassant de ses manches garnies de fourrure d'hermine blanche de longs poils noirs. Son dos le démangeait curieusement, les ongles de ses pieds transperçaient déjà ses lourdes bottes de cuir et grattaient le sol d'impatience.
Il leva la tête vers le ciel, un disque rouge dépassait de la cime des sapins, un rideau de sourcils gris et broussailleux encadrait cette vision effrayante pour lui. Il dut ouvrir la bouche afin que les canines qui poussaient rapidement ne lui blessent pas les gencives. Je devrais dire ses babines dégoulinantes de bave gluante.
Les autres Noëls de pleine lune, il y a longtemps, le ciel était couvert, la neige tombait en gros flocons, les cheminées fumaient et annonçaient tels des phares les chaumières accueillantes.
C'était bien la première fois depuis le début de sa longue carrière qu'il voyait la lune, son disque clair illuminer des horizons inconnus, des landes plates et inhospitalières, des forêts denses et sombres.
Un cri traversa la nuit, les parents poussèrent le buffet et la table devant la porte.
« Une faim de loup » dit-on quand elle est incontrôlable, sagesse des expressions populaires ou fables de grand-mère ?
Le beau costume rouge commençait à craquer de toutes parts, les rennes piaffaient de peur assujettis au lourd attelage chargé de cadeaux et de friandises.
Bonbons, sucres d'orge, pommes d'amour, candie, papillotes, oranges et mandarines n'auraient pas pu rassasier l'appétit du loup qui grandissait en lui. Le Père Noël regardait toujours fixement la lune, le doute s'immisçait dans son cœur qui battait à vive allure. Ses tempes martelées frénétiquement allaient exploser, il fourragea dans le coffre du traîneau à la recherche d'un cadeau, tout en dessous.
Un livre dont il eut vite fait d'arracher le papier cadeau pour l'ouvrir.
La lumière blafarde de la lune était tellement forte qu'il pouvait lire sans lampe. Il eut peur quand il vit son index long et crochu...
... une griffe plutôt chercher le long des lignes en écriture gothique le mot dont il se souvenait avoir entendu parler.
Bla bla bla ... il passa bien vite sur l'introduction du conte...
«Cette année là, les enfants n'ont pas eu de cadeaux... »
Plus loin, une illustration en bas de page sous le texte, une grosse lune rouge était dessinée, les branches des arbres rayaient le ciel.
Il tourna la page avec difficulté, la faim le tenaillait, il n'était pas habile de ses pattes.
Le livre lui tomba des griffes : en pleine page la réalité lui sauta à la figure, à la gueule serait plus exact, menaçant et hideux un loup-garou courrait ventre à terre après un troupeau de moutons. C'était dans la forêt de Mercoire, aux Marches du Gévaudan. Nul besoin de lire le conte plus avant il compris son terrible sort :
le Père-Noël était lycanthrope. »
« Cette année là, les enfants n'ont pas eu de cadeaux... »
Ici, ma mémoire me joue des tours. Les rennes ont ils payé un lourd tribu à la légende ? Le Père-Noël s'est-il caché sous l'amas de cadeaux dans le traîneau après s'être attaché aux ridelles avec les brides de cuir, harnais et licol autour du cou et des pattes arrières en attendant le matin que la lune disparaisse enfin vers l'ouest ?
« Comme tu as de grandes oreilles grand-mère ?
C'est pour mieux t'entendre mon enfant. »
Si seulement elle était encore là ma grand-mère, elle me raconterait la faim de l'histoire, celle du Père-Noël lycanthrope et je saurais enfin, «Pourquoi, cette année là, les enfants n'ont-ils pas eu de cadeaux ?»
Note de bas de page : lorsque nous avons fait le Chemin de Stevenson, je ne sais plus dans quel village Fouzilhic ou Fouzilhac ? Nous n'avions pas pu y trouver de gîte, un passant encapuchonné nous avait indiqué un endroit où une cabane pouvait éventuellement nous abriter. Après quelques heures de marche en effet, une pancarte annonçait le lieu-dit : « Prairie des Crânes. Alt : 1214 m.»
J'ai consulté la carte IGN 25 000 Langogne 2727 E, un Fouzillic écrit avec 2 l existait bel et bien , mais je n'ai jamais trouvé la Clairière des Crânes ?
PF le 28 décembre 2015