II. Ce qui s’est dit. Le Chant de la Terre. Le « Dit » de la Sylve d’Emeraude.
Le Chant de la Terre.
«Je n’étais que poussière
Sur un sentier solitaire,
Tu as donné un sens
Au néant de mon errance.
Ma Terre, Mater, ma Mère.
J’étais goutte de pluie
Etoile dans la nuit,
Tu as fait de moi ciel et mer
Force et courant de la rivière,
Ma Terre, Mater, ma Mère.
Le cri de celui qui avance
En quête d’asile ou de chance
Déchire tes entrailles
A la sueur des douleurs du travail.
Ma Terre, Mater, ma Mère
Les yeux sans larmes de l’enfant
Pendu au sein de néant,
D’une mère au lait absent
Te transperce au sang
Ma Terre, Mater, ma Mère......
Les vibrations de la voix de Mamma-Dream, comme un encens volatile pénètre les cœurs les plus endurcis. Un choeur universel se joint aux rythmes lents de ce Gospel Africain. Zohra a relevé son voile sur ses cheveux de jais, et ses mains tatouées de henné scandent des refrains sur la sècheresse des plateaux de l’Atlas, les maisons de pisé croulent d’un abandon forcé.
Un djembe rythme le battement d’une artère sectionnée, il soutient l’émotion profonde de ceux qui n’ont pas les mots pour le dire.
Jos III a sorti sa flûte Inca, c’est le seul instrument qu’il peut se permettre de transporter avec lui. Il est ballotté par les razzias policières successives en forêts de périphérie des villes. Ce qui donne la mort à la planète : le plastique, le gaspillage, le dépôt sauvage, sont devenus sa richesse et la source de sa survie. Le chant de Joss III est un cri strident, il est bientôt rejoint par la mélopée de Maya dont le père a dû vendre : un rein, ses yeux puis son squelette a des carabins de Calcutta pour prolonger de 3 semaines la subsistance de sa famille dénutrie aux visages faméliques.
Inouk assis sur un rocher à l’écart fait vibrer sa guimbarde en boyau de phoque, elle pleure les icebergs ruisselants des baies de la Green Land. Mc.Ingel à ses cotés retrouve avec la sienne à lame d’acier la profondeur des cercles de pierres dressées de ses ancêtres trahis. Sa vieille religion a fait place aux croix des chemins et à la poussière sans âme d’autels aux ors fades. Seule Nuage de Silence se tait. Les mânes des ancêtres ont été dispersés par les bulldozers et les tractopelles dans la saignée de la grande autoroute des Montagnes Noires. Les hardes de bisons ont abreuvé de leur sang le tracé du Cheval de Fer. Les siens cuvent des élixirs alcooliques, désœuvrés désormais, parqués dans une réserve, émigrés sur des chantiers urbains de béton et de ferraille fragile.
Chris Johanson Kutu-Nimba se tient la tête dans les mains, son émotion est à l’extrême, seuls ses pieds chaussés des gum-boots de la mine, martèlent la terre en se joignant aux chants de désespoir des petits, des déshérités, des apatrides, des exilés, de ceux qui sont forcés au départ et de ceux qui sont prisonniers du besoin.
Johandra récite tel un mantra le flot des ouragans, des tempêtes tropicales qui dévastent ses terres de Delta. Urs a traîné son cor des Alpes. Leur écorce de bouleau est en phase avec le cuivre des appels sonores de la trompe cérémonielle des moines de la vallée du Yasmir. Ils évoquent, solidaires les glissements de terrain, le recul des glaciers et chante le mythe oublié du Continent Perdu.
Pat souffle dans son didgeridoo aborigène. Le Chant de la Terre est harmonie, il est révolte contre l’injustice, la cupidité, la haine, l'oppression, les prisons et les chaînes de tous bords.
Le Chant de la Terre est partage.
Lien de liberté, nul ne pourra le bâillonner.