II. Ce qui s’est dit .Le Récit de l’Aubergiste et du Gitan. Le « Dit » de la Sylve d’Emeraude.
Don Pietroquino n’eut pas besoin de s’avancer au centre, sa voix
de baryton suffisait à porter ses paroles aux oreilles de tous, cette fois bien éveillés. Les habitués de sa taverne « El Pilon »
connaissent ses fureurs, et ses joies quand il pousse la chansonnette, un petit morceau d’Opéra à moins que ce ne soit une complainte qui chante les prouesses de quelque chevalier fou de temps moins obscurs.
« Yorik, je peux t’appeler ainsi, je sais que tu n’es pas qu’un bouffon, j’en ai vu passer des clowns, des mimes dans les pantomimes sur la place du bourg. Tu es Yorik le Nain. Ho !
bien peu le savent ici, et ceux qui le savent ne parlent pas se taisent. Il se passe des événements graves chez nous les hommes. A l’automne passé de grosses machines sont venues ici pour monter
vers la Sylve d’Emeraude, on a pas pu les arrêter, les hommes qui les guidaient ne sont même pas venus boire une pinte au « Cheval de Bois ». Puis il n’a pas fallu une semaine pour
que l’auberge se vide de ses habitués, plus de rires dans la cour d’école, le soir pas besoin de crier après les enfants pour les faire rentrer se coucher. Dès la nuit venue, tout le village
rentre dans ses foyers et s’allonge, moi comme les autres, on se couche les yeux ouverts et on croit dormir, mais au matin, on se réveille aussi fatigués que le soir. Mais le pire c’est
qu’on ne rêve plus.
Te rends-tu compte Yorik, ne plus rêver ! »
-« J’en savais assez, j’ai passé la nuit à aller de maison en maison pour les voir dormir les yeux ouverts » repris Yorik pour continuer son rapport
-« Allongés sur le dos les yeux au plafond, les mains le long du corps
comme des gisants de marbre .Les jeunes mariés ne se tournaient plus l’un vers l’autre pour des câlins plein d’avenir . Vous me connaissez, moi le Maître du Temps, mon sang n’a fait qu’un
tour, j’ai cherché le Gitan reparti sur les routes. Au détour d’un chemin j’ai trouvé son campement silencieux, sans les guitares et les danses. J’ai frappé à sa roulotte, il m’a ouvert
timidement et m’a serré dans ses bras. Nous avons pleuré. Cette nuit là nous avons fait nos sacs pour aller à la recherche de renard. »
-« Comment ! » cria Islandine,
- « Vous avez transgressé la loi en allant chez Renard ! »
-« C’est un cas de force majeur et je sais que j’aurais du réunir la Grande Assemblée avant afin d’avoir l’accord de la Pierre et de l’Eau, mais nous n’avons pas une minute à perdre, quand vous en saurez plus, vous me pardonnerez d’avoir agit ainsi. »
-« Soit Yorik, si nous sommes ici dit Mano, C’est que les choses sont graves. Tu as bien fait »
Gitan tu veux prendre la parole ?
Un homme de haute stature, mince, le regard sombre sous un large chapeau de feutre noir s’avance. Le silence s’impose sur ses pas, le soleil de l’après midi fait briller un boucle d’or à son oreille gauche. Enveloppé de la fumée d’un petit cigarillo, il toussote pour s’éclaircir la voix. Le visage levé vers le soleil, on croirait qu’il va entonner une Soleares de Cante Jondo.
-« Vous qui dormez tous les jours sous el même toit
Qui ne connaissez de Renard que de numbre
Ne jetez pas la piedra à celui qui connaît sa tanière. »
-« Je me suis approché a pas feutrés, avec prudence, c’était la saison où d’habitude les renardeaux commencent à jouer sur le devant de la grotte, et Renarde n’est pas commode à cette saison, elle est sur ses gardes. Ce jour là, pas de cri, pas de bruit, je me suis avancé un peu plus, et c’est à peine si j’entendais respirer, juste un petit sifflement de temps en temps. Quand je suis entré, je m’attendais à voir Renard me sauter au cou, lui, si vif et aux aguets, non, il était couché en boule, dans un coin et Renarde dans la même position dans un autre coin de l’antre, pas de cris de petits. J’ai commencé à avoir peur, mais conscient de l’importance de la situation, j’ai pris sur moi pour essayer de réveiller Renard, je l’ai secoué, je lui ai crié mon nom dans les oreilles, d’habitude ça fait toujours de l’effet. Rien, je suis allé cueillir quelques fraises des bois, je sais que Renard en est friand, je lui les ai mises sous le nez pour qu’il puisse en respirer le doux parfum. Rien, alors je lui en ai glissé une dans la gueule par une babine sur le côté, sa grosse canine dépassait, un peu de bave est tombée, il a dégluti. Je reprenais espoir, il a ouvert un œil doucement et dans un souffle, il m’a dit :
-« Merci Gitan »
Puis je lui en ai fait avalé une autre bien mûre et juteuse
-« Gitan ……… Plus…..de …….Raisin……. ! »
-« C’est pas la saison du raisin Renard, attend l’automne, c’est des fraises. »
-« Raisin… de …Renard » parvint il à murmurer :
-« Plus…..la forêt….. Raisin… mort…..les rêves…….. Partis. »
Je n’ai rien dit, j’avais tout compris, c’est bien ce que je pensais, Renard comme les humains ne rêvait plus, et lui seul savait pourquoi, et il venait de me mettre sur le chemin de son terrible secret : « True love », « L’Amour vrai » que d’autres nomment « Raisin de Renard » a disparue.
Un cri unanime retenti dans l’assemblée, Manosthéralitaf se tient la tête, Islandine ferme les yeux, les larmes coulent sur les pommettes creuses de Yorik. Islandir fronce ses sourcils de lichen, il n’en croit pas ses oreilles.
« True love », comme la nomme les Angles n’est plus dans la Sylve d’Emeraude.