La nuit des Taupinetambours.
J'ai des nuits souvent calmes, sauf lors des nuits de pleine lune.
On a beaucoup parlé des loups garous, ces hommes qui se transforment en loup, mais
avez-vous déjà entendu parler des « Taupinetambours» ?
Comme vous je suis allé chercher dans un dictionnaire, sans succès.
Au fond d'un tiroir du placard je garde un vieux grimoire : « Jardiner avec la lune ».
Je ne le sors qu'au printemps, il n'y a d'habitude pas grand chose à faire en ce moment au
jardin, les 15 à 20 centimètres de neige sont un régal pour le jardinier au repos. Cette année il n'y a pas de neige, après un froid précoce début décembre les « Fêtes » ont été
particulièrement clémentes, pas de gel, sous les châssis je peux encore ramasser de la salade.
L'occasion d'aller arracher quelques tubercules de ce légume que les anciens disent de
« guerre » des topinambours. Je sais, ça donne quelques flatulences désagréables, dignes des « musiciens », ces haricots flageolets. La chair de ce légume oublié a le goût de
l'artichaut, chaud ou froid, tiède, avec une sauce dite « piquante » genre Gribiche, c'est très bon.
Le 28 décembre dernier, l'an passé diraient certains, vers les 4 heures du matin, un
tintamare digne des nuits chaudes de Rio pour le Carnaval m'a tiré de dessous la couette. C'était justement le jour où j'avais l'intention d'aller arracher (le mot est fort) mes
topinambours.
Voilà déjà quelques jours j'avais observé une certaine agitation au fond du potager, les
activités de Noël m'avaient bien occupé dedans, sapin, vœux, repas, petits plats dans les grands, visites, cadeaux, bref vous savez ce que c'est.
Le ciel, cette nuit là était clair, Orion plein sud laissait entrevoir sa nébuleuse,
pépinière de jeunes étoiles.
Je suis sorti au jardin en me frottant les yeux, encore endormi. Le boucan venait justement
de cet angle un peu sauvage où je laisse les topinambours envahir, ravi en été par leurs belles fleurs jaunes semblables aux tournesols d'un Van Gogh bucolique.
Ces « truffes du Canada » dont ma vieille voisine m'avait fait la joie de
m'offrir 3 ou 4 pieds se sont bien installées chez moi.
Elle m'avait dit :
« Prends ces artichauts de Jérusalem, tu verras c'est succulent, mets les dans un
coin à part du jardin, ils réservent parfois des surprises. »
Je n'avais pas pris garde a ses recommandations jusqu'à cette fameuse nuit de
décembre.
Je me suis approché à pas lents, la terre ondulait comme une mer d'huile, entre deux
battements de tambour, une petite truffe violine sortait de terre en émettant un cri aigu à vous glacer les sangs.
Le rythme bien soutenu invitait à la danse et il me fallu tout mon sang-froid pour ne pas
succomber à cette sarabande hivernale. Un voile de brume entre le fuchsia et le mauve montait vers le ciel comme une offrande sur l'autel des immolations.
De retour à la maison un frisson m'a parcouru la colonne épinière, j'ai ouvert le tiroir du
placard afin de consulter mon livre de jardinage.
A la lettre T du lexique :
Taille des arbres
Teigne du poireau
Tétragone
Tomate
Treillages
Troène
Tulipe...
Et, tout en bas avec un astérisque * : Taupinetambour.

Je n'avais jamais ouvert cette page 75, il semblait que j'avais à faire à un rajout
manuscrit d'une de mes aïeules, toutes férues de jardin familial.
J’avais entendu parlé du « Tambour » de Günter Grass et du Crabe-tambour le roman
de Pierre Schoendoerffer, tous deux portés à l'écran, mais jamais encore je n'avais entendu parlé de ces « Taupinetambours».
J'ai tourné la page.
Entre la 75 et la 76, un grand encadré m'a ouvert les yeux.
Pendant la lecture, dehors entre merengue, salsa, valse à mil temps, tangos langoureux, un
genre dodécacophonique me rappelait que je ne rêvais pas ; une musique concrète fort éloignée des « 4 saisons » de Vivaldi.
J'ai pris ma tête entre mes mains dans l'intention de me boucher les zoreilles, sans
succès. Le brouhaha venait de l'intérieur.
« Taupinetambour : il arrive que certaines variétés de topinambours se
croisent avec la taupe commune du jardin. On peut consommer ce légume riche en protéine avec modération.
Il est bien d'entourer la culture d'un grillage fin de façon à ce que les
tubercules ne se propagent pas outre mesure et n'envahissent tout le potager.
Il est cependant conseillé de ne pas prévoir « l’arrachage » (le mot
est fort) des taupinetambours les jours de pleine lune quand elle se trouve durant la « Trêve des pâtissiers » , tous le sept ans environ. »
« En effet ce symbiote taupe/topinmabour fort rare, un hybride sauvage
curieux, un mutant dirions nous se met à s'agiter, sort de terre, tourne en folles farandoles nocturnes »
Comme si la plante avait eu conscience de ma faim permanente et de sa fin
imminente.
Suivait un tableau récapitulatif des nuits de pleine lune lors desquelles un
« arrachage » (le mot est fort) était à proscrire entre Noël et le Jour de l'An.
« Abaques de « Pleines lunes à
Taupinetambour »
Selon le calendrier astrologique de Ptolémée le Grand.
Corrigés par Johannes Kepler lors du passage des 2 comètes de
1618.
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DateJourAnnée25*Dimanche196928Mercredi197629Mardi198330Lundi199027Jeudi199726Mercredi200528Vendredi201230Lundi201931*Dimanche202624Lundi203329Vendredi2040
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* : à noter que le phénomène de « conjonction astronomique » des 25
et 31 amplifie notoirement la résonance des percussions. »
Suivait une méthodologie de calculs algorythmiques savants pour les siècles
futurs.
J'ai bien failli perdre la raison, soulagé qu'un livre de référence me donna une
explication qui, faute d'être rationnelle avait l'avantage d'être imprimée...
...quoique des cursives douteuses évoquaient un canular.
Sacrée Tante Mélanie !
Un mot dit « valise » : Taupinetambour dans l'Arbre à Mot chez La Sardine.