Orelle, rencontre avec un ancien de Maurienne.
La vie à la montagne n'est pas que loisir. J'ai eu deux voisins de chambre
d'hôpital depuis mon arrivée à Saint Jean de Maurienne.
Monsieur Cascade, parisien dynamique habitué du surf et des grands domaines
skiables, venu cet été avec des amis pour découvrir en une semaine bien pleine les nouvelles activités out-door créées pour valoriser les remontées mécaniques quand il n'y a pas de
neige.
Ils ont fait de la via-ferrata, du kayak, de la luge d'été sur des toboggans de
plastique. La tendance cette année est le VTT de descente. Location du matériel, casque, genouillères, protections pour les coudes, gants, un VTT adapté qu'on met sur le télésiège. On se retrouve
sans beaucoup d'expérience en haut d'une piste noire prêt à se lancer dans la pente. Éboulis, blocs, cailloux ont remplacé la neige damée et lisse de l'hiver. L’anesthésiste m'a dit au bloc
qu'une bonne partie de la clientèle de traumatologie l'été se recrute dans cette activité.
Monsieur Cascade possède une caméra numérique fixée sur le casque, il filme tout
et regrette que sa chute n'ait pas été une bonne prise , il aurait pu l'envoyer à « vidéo-gag ». Monsieur Cascade commercial va perdre de l'argent suite a sa chute, il va être tenté de
reconduire avant l'autorisation du chirurgien. Monsieur Cascade va se faire rapatrier au bord de la plage dans une station balnéaire en vue, aux frais de son « Assurance Assistance »
pour ne pas gâter ses vacances.
Monsieur Source qui l'a remplacé a les articulations usées par le travail
d'antan, il a vécu « à la dure » il a fait une chute dans sa maison de retraite. Originaire d'Orelle le long de l'Arc, ses parents
possédaient un mulet, une vache, quelques chèvres, des moutons et un cochon qu'ils sacrifiaient en décembre. La vie n'était pas facile, le tourisme n'était pas implanté dans la
vallée.

Il a trouvé du travail à l'usine électrochimique de Prémont qui grâce aux aménagements hydro-électrique de la vallée installées en 1894 et pouvait
produire de l'aluminium dès 1910 .
Duralumin possédait l'exclusivité de la licence et le premier duralumin s'est fabriqué à Prémont.
Voie de chemin de fer pour acheminer les produits annexes, ainsi que l'alumine
par wagons, le carbure de calcium et le permanganate de potassium ont permis dès 1925 l’essor de cette filière industrielle à laquelle s'est rajoutée en 1924 la production de chlorate de soude
pour le désherbage, explosifs, feux d'artifice et la potasse pour le blanchiment des lessives qui a remplacé sans mesure le blanchiment sur l'herbe de mes fées du Mont-Aiguille.
Dès 1912 des préoccupations environnementales sont nées. Les émanations nocives
avaient un effet toxique sur la forêt, source de revenus importants pour la commune, les négociations n'ont abouti que vers un dédommagement financier sans remettre en question le
procédé.

Le barrage de Bissorte sous la face nord du Mont Thabor a permis de monter en
puissance les productions de la vallée malgré les destructions liées au conflit de 39/45.
Il a été dur de relever cette industrie, la production d'aluminium s'est arrêtée
en 1950.
Monsieur Source descendait d'Orelle à pied jusqu'à Prémont par tous les temps,
les périodes de fortes neiges, l'usine mettait des chambres à disposition pour les ouvriers.
Monsieur Source ne faisait pas de ski, ses sorties allaient jusqu'au Plan
Bouchet qui est le point de liaison actuel de la station d'Orelle avec le grand domaine skiable des 3 vallées, Val-Thorens.

Avec des amis vers juin début juillet, Monsieur Source montait par le Col du
Télégraphe et Valloire jusqu'à Plan Lachat sur le route du col du Galibier afin d'y cueillir les violettes pour parfumer les tisanes parfois insipides comme la camomille. Plan Lachat est le point
de départ du sentier qui monte au joli coin des Rochilles, vallée et lacs en amont de Névache.
Monsieur Source faisait un petit jardin, avec peu d'arbres fruitiers car il dit
aussi :
« Quand y dessus , y a pas dessous.
Quand y a dessous, y a pas dessus ! »
Petit à petit Monsieur Source a vu son village se vider, trop bas pour le ski
avec ses 870 mètres d'altitude, la pharmacie a fermé, le boucher est parti, il ne restait qu'un boulanger ainsi qu'une petite supérette. L’auxiliaire de vie qui lui permettait de rester à la
maison passait son temps à faire les courses.

La maison familiale qu'il partage avec une sœur loin n'était plus adaptée à la
dépendance. L'eau froide, le WC dans l'ancienne écurie, une isolation vétuste pour un chauffage au bois qu'il ne peut plus rentrer.
Monsieur Source en est venu à suivre les conseils de ses voisins, il a vendu la
vieille bâtisse à de riches touristes pour venir prendre une place dans la maison de retraite de Saint Michel de Maurienne, où il reconnaît s'ennuyer un peu. Ses doigts déformés par le travail ne
peuvent plus tenir les cartes et le loto de l'après midi n'est pas d'un grand intérêt pour lui. Dans la vieille boite en fer blanc où il transporte son « Trésor », il partage avec moi
d'anciennes cartes postales de son village.
Ce soir, se plaignant du chaud, il regarde par la fenêtre et m'annonce devant le
ciel jaune que l'orage va éclater. Dans la nuit, de gros éclairs ont fendu le ciel et une petite pluie bienfaisante est même venue mouiller les dalles de la chambre.
Il s'interesse à ce nouvel outil que j'ai sur ma tablette, il s'approche avec
son déambulateur pour voir sur mon écran plat, les photos et vidéos des nouvelles installations d'Orelle.
Le plus long télécabine du monde qui relie la Maurienne à la Tarentaise et monte
les gens à la cime de Caron 3195 mètres en quelques minutes et leur ouvre les champs de neiges sous la Pointe de Thorens 3266 m.
Carte 25 000 IGN 3534 OT les Trois Vallées Modane.
En une vie d'homme le monde à changé, la montagne, elle ne change pas et impose
le respect.