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Publié par FMarmotte5

Le village a été construit selon un plan ancestral. Un vague légionnaire reçut en récompense quelques arpents de terre boisée quand les Marches du nord furent pacifiées. Originaire d’une famille d’agriculteurs de la péninsule, c’est surtout l’immense forêt qui lui a fait poser  armes et bagages dans cette petite vallée isolée.

Au début, un pont de bois traversait la rivière, mais les crues de printemps eurent vite fait d’en  saper les piliers de châtaignier. On ne compte plus les siècles ni les eaux paisibles d’été, les écumes tumultueuses de printemps qui ont coulé entre  les piles massives de pierre. Là se sont brisés les courants capricieux de l’Aygue-Noire. Plus personne ne sait que cette appellation n’a rien de tragique mais doit son nom aux dépôts de nitrate d’argent dont ses eaux sont légèrement chargées. Aucune prospesction minière n'a été faite en amont.

La route du sud entre dans le village par l’ancienne voie qui chevauche la rivière, c’est par là que la plupart des visiteurs : nomades, commerçants, colporteurs,  envahisseurs de tout acabit, troupes de pauvres hères ou chevaliers montés sur de fiers destriers selon la formule consacrée, accompagnés de leur escorte de soldats, bateleurs, dames de compagnie et serfs non affranchis.

Ce temps est révolu, Les Combes-en-Forêt ont acquis une certaine indépendance, sans s’arroger le nom de République comme d’autres cités plus septentrionales, elle peut se vanter d’une certaine autonomie. Ses habitants libres penseurs et humanistes se sont souvent émancipés de la justice et des obligations de vassalité sans pour autant ne pas entretenir des rapports de bons voisinages avec les comtés voisins.


Place du Cardo
Place du Cardo, une colonne modeste sert de piédestal à l’obscur fondateur, à ses pieds une charrue est symbole de travail et de paix, il tient une brassée de blé en signe de prospérité. Rien de bien original, et l’œuvre n’attire pas les amateurs d’art antique. D’est en ouest une large trouée aligne des maisons cossues et rappelle le Decumanus primitif. Le soleil se lève dans l’axe de cette petite artère et vient éclairer vers midi la façade de l’Auberge « El Pilon ».

Trois marches de granit permettent d’accéder à une petite terrasse bien agréable l’été. Un gros platane fait de l’ombre sur le quart sud-est du Cardo. Là, se rassemblent les gens, debout pour une courte conversation ou un salut, assis aux tables que Maître Pietroquino dispose aux beaux jours. Sur le nord-ouest un haut bâtiment fait office de Maison Commune, ses grandes  arcades abritent de fraîches allées. Quelques commerçants viennent y exposer leur étal, un tableau reçoit les avis, les affiches et fait office de gazette. A l’étage une vaste salle permet de réunir quelques notables pour les rares sessions de justice  et les décisions importantes.

Le sol est pavé de lauzes ocres sur lesquelles les souliers à clous, les sabots des chevaux et des baudets résonnent en annonçant leur passage à l’ensemble du bourg. Le quart sud-ouest reçoit une fois par mois la foire traditionnelle qui permet aux Combes-en-Forêt de s’approvisionner en produits de première nécessité que ses villageois ne peuvent produire : le sel, quelques épices, des cuirs, de temps en temps selon la saison un maraîcher vient écouler un surplus de production de fruits et légumes plus exotiques. Ce qui est récurrent et ce que nos villageois ne pourraient manquer, c’est la venue d’un bouquiniste. Certains passent des commandes, d’autres préfèrent fouiner dans le stock important que Joseph Rastinovitch transporte chaque jeudi dans sa  charrette à bras. Disert, ce sont curieusement ses silences qui lui ont taillé une réputation de philosophe. C’est dans d’un de  ses incunables que provient cette ébauche de plan urbain.

On ne peut pas dire que les habitants des Combes-en –Forêt soient des intellectuels. Ils aiment raconter des histoires. Le soir, un récit lu il y a longtemps ravive les mémoires ou surprend le néophyte. On ignore  si le conteur improvisé parle de sa propre vie ou des voyages d’un aïeul oublié. Il arrive qu’une même histoire lue ou entendue par un autre revienne s’inviter à une soirée après des transformations insolites, de nouveaux personnages, une fin tragique, un décor surprenant, des péripéties rocambolesques.

Sous le gros platane quand un été chaud fait chanter les cigales, au coin de la cheminée de l’Auberge les jours de bise quand d’imposantes congères bloquent la rue du Nord et viennent s’amonceler au pied de la statue, le doux ronronnement d’une fable est l’unique animation au cœur de la Sylve.

Les enfants viennent  faire des batailles de boules de neige sur ce carré et parfois quand il gèle, faire une longue glissade entretenue par le débordement de la fontaine intarissable. Du mur sud de la grosse bâtisse aveugle de l’angle nord-est sort un tuyau de bronze dont les sculptures ont été occultées par les mousses depuis belle lurette .De mémoire d’homme, personne n’est entré dans cette massive construction faite de matériaux divers dont nulle fenêtre ne perce l’austère façade.

C’est par la Rue de l’Est  d’habitude peu fréquentée que le reliquat de la Grande Assemblée arrive pour se séparer aux pieds de la colonne et prendre chacun la direction que le sort leur a attribué au travers des intuitions de Sarah.

L’enseigne de l’Auberge agitée par le vent se balance, un grincement aigre de métal rouillé bat la mesure de temps incertains et futurs.

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