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Publié par FMarmotte5

Islandine ne parle pas.

Islandine ne chante pas.

Islandine ne déclame pas.

Islandine ne raconte pas

Islandine est comme l’eau, Islandine est l’eau.

 

Gorges

 

Elle s’écoule, s’infiltre dans vos cœurs, elle rafraîchit, elle  noye. C’est au-delà des mots, ça coule de source. Inutile  de poser des questions, de quémander, de supplier, de mendier une réponse,  d’exprimer un désir, de valider un droit .Un jour vous vous rendez compte que vous savez. Son trône est une coupe, un Graal,  le seul objet qui puisse la contenir.

 

Alors quand Yorik est en sa présence, ce sont nuées, brumes, gouttes que d’aucun dirait jumelles mais dont aucune n’est semblable à une autre malgré les justes  intuitions de Goethe : « La goutte d’eau qui tombe est ronde. »

Les rayons d’un soleil pâle qui tombent du pertuis de la voûte quelques 70 mètres plus haut se difractent en arc en ciel avant qu’une dispersion inéluctable ait lieu sur le sol glissant de la caverne.

 

spectre

 

Ce sont ses mots. Le spectre des sept couleurs n’est pas suffisant pour son langage, au-delà de l’infrarouge et de l’ultraviolet. Les 26 lettres de l’alphabet non plus, ni le miroir des runes. Islandine s’exprime sur des ondes infinies. L’oreille d’un homme malgré la perfection de sa conception n’est pas suffisante pour l’entendre. Il s’agit d’une perception encore  plus tenue, il s’agit de comprendre.

Seul le Maître de la  lumière, le Gitan peut recevoir l’ensemble de ses paroles. C’est avec le cœur qu’il accède à ce savoir. Son violon qui vibre en harmoniques sensibles se fait l’écho de ses émotions.

Le Gitan n’est pas là.

La dernière fois que nous avons eu de ses nouvelles après un chant pathétique, il a reçu des mains d’Islandine la lumière de l’ouest, celle du plein soleil, celle qui remplie sa guitare d’accords si beaux.

Puis une lettre plantée sur le tronc du chêne centenaire indiquait le début de leur périple.

Yorik se  remémore le post-scriptum de Tupinamba : « Les fleuves courent à la mer et les nuées aux montagnes. »*1

 

cataracteDans ces mots, chaque membre de l’assemblée présent autour de la cascade jaillissante reconnaît la détermination de cette union par delà les serments. Elle seule sera un barrage aux forces ennemies qui ne peuvent être que provisoire sinon domestiquées :

Naudiz, la servitude.

Thuriaz : la souffrance.

Tiwaz : la guerre.

Elhaz : la mort sans magie. Celle dont on ne revient pas.

Mais aussi Eihwaz : être l'ennemi de soi-même.

L’ignorance qui ne porte pas de nom et c’est bien ce qui fait la difficulté de la combattre. C’est par les mots que chacun dans sa partie commence à concevoir les parades aux désastres qui ont fait disparaître le « Raisin de Renard ».*2 Malgré les longues pérégrinations des uns et des autres, rien ne saurait en prévoir le retour dans un avenir proche.

 

 

 

 

 

Les mots du cœur sont amour.

Les mots de la tête sont savoir.

Les mots des sens sont beauté.

Les plus indéfinissables, ils sont poésie, peinture, prose vulgaire, dessin rapide, marque ancienne, trace de pas, travail de fou, glyphe, graphe ou long roman. Notes chantonnées, tonnerres, murmures, secrets susurrés ou symphonies complexes, argiles fragiles et marbres monumentaux. Qui pourrait attribuer valeur ou insignifiance à la disparité des manifestations de cet art ?

Islandine voulait parler des chaos que Manothéralitaf a engendrés afin de fermer la Sylve jusqu’à ce que la sagesse des hommes retrouve ne serait-ce qu’une ébauche de rêve. Elle aurait aussi pu raconter comment sur ses parcours souterrains, elle a miné les fondations des barrages humains, comment des cataractes ont éventré le flanc des montagnes et comblé les vallées pour ensemencer les terres futures. Elle aurait pu chanter les flamencos du Gitan qui marque d’un sceau connu de lui seul le seuil des maisons amies ou hostiles, les boites aux lettres devenues inutiles depuis que les chemins se sont couverts de ronces derrière son passage vers l’ouest incertain. Elle aurait pu crier les craquements d’Inlandir vers l’est en compagnie de Loup dont les cercles de la meute aux nuits blanches d’une lune laiteuse ont enflammé la forêt exploitée par l’homme n’y laissant que branches, brindilles, fracas et désolation. L’espérance que les terres brûlées seront à l’avenir fertiles comme dans la chanson du poète qui pleure de la peur d'être quitté.

Comme pour un exode, peuples et tribus ont été marqués d’un signe. Un refuge leur a été attribué et c’est de leur connaissance et de leurs savoir-faire primordiaux que recommencera l’industrieuse espèce humaine.

 

nuées

 

Iles, montagnes, souterrains, pôles, déserts, vastes plaines continentales, plateaux hostiles, inlandsis, fjords inaccessibles, forêts impénétrables, habitats troglodytes ou nomades, tentes , yourtes, tipis, huttes, roulottes, bidonvilles et favelas, anges sur leurs esquifs volatiles, radeaux, cabanes dans les branches avec juste quelques lianes pour y accéder.

Les leçons seront-elles entendues ? Les chants nomades commencent à retentir, leur mélopée est mémoire. Les premiers artefacts sont symboles : cannes, sceptres, indications, flèches, rondeurs matricielles, plumes voyageuses, tags courts. La fragilité de leurs matériaux les mettra à l’abri des musées, des archéologues, des collectionneurs et de la spéculation. Il n'y a pas de honte à n'avoir pas d'histoire.

Islandine n’a pas dit tout cela mais par delà les perceptions sensorielles, tous ont commencé à pressentir ce que sera le monde d’après. Une déconstruction nécessaire avec une question : est-il besoin de fondations ?

Et si le vent et l’eau suffisaient à sortir de la servitude.

 

*1 : 22.V.1 : « La lettre ».

*2 : 11.II.Ce qui s’est dit.2.Le Récit de l’Aubergiste et du Gitan.

 

 

28. Le « Dit » de la Sylve d’Emeraude.

VI. Dispersion 4. Au-delà du spectre.

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Q
<br /> <br /> Ne pause pas tout de suite.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je voudrais la suite...<br /> <br /> <br /> J'aime la façon dont tu parles d'Islandine, dont tu parles des mots.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> On se laisse porter par ton récit. Parfois je voudrais que tu les dises, que je puisse fermer les yeux pour mieux écouter.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pour mieux les entendre, car, le rythme de ton texte est comme celui d'un poème, il demande à la fois le débit du discours et aussi les pauses, les silences.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> J'aime.<br /> <br /> <br /> Tu écris, et moi, je rêve. Merci.<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Merci de ta réponse Pierre, j'ai reçu l'avis de publication. Comme d'habitude, je viendrai lire avec du temps devant moi, on ne survole pas ton ici, on s'installe pour un moment. Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Je t'ai trouvé l'article, Pierre<br /> <br /> <br /> je n'avais pas précisé que c'était mon père, il n'est plus là,  à présent...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> http://dans-les-voiles.over-blog.com/article-36669476.html<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Islandine coule paisiblement et poursuit son voyage qui est une sorte d'aller-retour.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> je m'incline Pierre face à un tel texte, très savant et fort bien exprimé...<br /> <br /> <br /> Les mots des sens sont beauté... En aurais-je quelques uns, modestes et avec un peu de coeur en prime ? Je ne sais pas...  du coup je me tais...<br /> <br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br />  très flaté ça m'encourage à continuer l'écriture de cette histoire qui s'étire.<br /> <br /> <br /> merci<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> <br /> Bonjour Pierre, quel bel hommage à cet élément vital et tant blessé; que de tentations pour le baillonner, le faire se dévier. Pour les fondations, il nous en faut, elles se construisent par ce<br /> que nous nous rêvons en devenir. Merci.   Snow<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Bonsoir Pierre, quel plaisir à lire ce conte, une belle écriture faisant appel à des références dont j'aimerais parfois avoir les sources, car certaines me sont familières et d'autres non, que<br /> j'aimerais découvrir. <br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Bonjour Adamante, ta question sur les "sources" dont le mot peut aussi être pris au sens propre m'a beaucoup questionné. C'est donc par un article que je réponds à ta question, le sujet est vaste<br /> je n'ai pas fait trop d'hyperliens, je pense que la curiosité de chacun pourra être satisfaite par une errance vituelle (je préfèr cette expression à surf! ;-) grâce aux références<br /> bibliographiques que je cite.<br /> <br /> <br /> Je suis désolé de ne pouvoir être plus présent sur la toile, j'ai souvent besoin de recul et de distanciation pour écrire et me retrouvé.<br /> <br /> <br /> Les visites et les commentaires sur la "Sylve " sont un challenge de qualité pour moi que j'apprécie. Il se peut que les beaux jours arrivants je fasse une pause sur le récit pour jardinage<br /> randos ?<br /> <br /> <br /> Encore merci, passe une bonne journée.<br /> <br /> <br /> <br />