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Publié par FMarmotte5

   « Comme chaque élément et mécanisme de l'horloge, vous êtes uniques. Seul on ne sert à rien, mais en mouvement avec le tout, chacun dans son rôle, à sa place, la roue tourne.

C'est ainsi que le temps passe.»

Haïcourt avait déjà entendu cette image dans un film qu'un bateleur de passage avait montré au village. « Hugo Cabret », un film magique comme il les aimait, où un orphelin doué redonnait la vie aux jouets mécaniques cassés, entre autre, la révélation de mystères, d'anciens travaux d'un doux rêveur.

Il lève le doigt vers le plafond au centre exact de la voûte.

« Si vous regardez bien ces tenons et mortaises ajustés au millimètre près sont signés : MB. C'est le travail de Martin Bruno. »

Ils levèrent la tête aussi, les plus grands tendaient le bras afin de toucher des doigts le travail minutieux. Avec un sentiment de satisfaction Yorik, les mains dans les poches, le torse bombé commença son récit en s'éclaircissant la voix.

« Hum, Hum ! »

« Un jour, non, c'était un matin, vous savez tous que renard vit la nuit. Un matin alors que toutes les équipes étaient revenues de cette grande aventure dans la Sylve, chacun ignorant ce que faisaient les autres, renard après une nuit de chasse laborieuse (privé de ses rêves profonds, il errait souvent sans but, ses petits affamés, le ventre creux), ce matin là, la nuit avait été froide, sans lune mais arrivé devant son terrier, une pointe de joie était venue titiller son cœur sec depuis la disparition de la parisette (le raisin de renard). Au moment d'entrer, un merle plus matinal que les autres chantait sur une branche voisine, et comme un heureux présage, au moment où Venus passait derrière l'horizon, le premier rayon du soleil avait traversé les pointes des sapins pour faire une tache chaude et lumineuse juste à l'entrée de chez lui.

Le rayon s'est déplacé avec la lenteur du temps qui passe en remontant la prairie, une légère brise est venue soulever son poil doux, son œil encore rouge de fatigue s'est mis à pétiller, sa longue queue touffue remuait d'excitation. Il a levé la tête afin de placer sa truffe dans le vent.

Derrière lui sans qu'il y prenne garde, renarde et ses petits sont sortis et malgré leur maigreur ils ont commencé à suivre leur père qui s'avançait dans le sous bois.

 

Renard Sources du Gaudalquivir

La mousse était fraîche, presque craquante, un feuille morte suivait la brise comme pour dire au revoir à l'hiver.

C'est au pied d'un grand chêne qu'elle était. Une pousse fragile, quatre folioles à peines ouvertes hésitaient encore à se dresser vers le ciel. Le rayon pointait le minuscule endroit et c'est presque à vue d’œil que tous en cercle maintenant voyaient s'étaler les feuilles vers les 4 points cardinaux.

Le raisin de renard surgit du Nadir, des entrailles de la terre, cet été, avec la patience des plantes, il produirait un petit fruit bleu comme le ciel, le Zénith. Les 6 directions retrouveraient le symbole de l'unité de ce monde cisaillé, dépecé, parcellé, fragmenté, brisé, coupé, cassé, atrophié, volé, accaparé.

Le nord, le sud, l'est , l'ouest, le nadir, le zénith enfin réunis au centre de cette harmonie précaire et fragile d'une petite plante insignifiante. Septième élément dans la simplicité de cette agencement primitif : le temps. Le temps de germer, d'éclore, de pousser, de faner, de mûrir, de se multiplier, de faire des graines, de sucer la sève de la terre, de se tourner vers la lumière, fermer sa corolle, pousser une racine, se marcotter, lancer un stolon, être pleinement à chaque instant.

Un temps né de la confiance du lendemain.

Un temps né de l'instant, entre futur et avenir dans la joie d'être.

C'est là qu'était la leçon, là que résidait le pouvoir du rêve.

Renard est venu flairer la tendre pousse et ses promesses de ciel.

 Parisette fruit 02

Il est rentré dormir , entouré des gambades de ses renardeaux, des coups de langue de tendresse de renarde.

C'est la première nuit depuis longtemps qu'il a rêvé. C'est ainsi que les hommes ont retrouvé le sommeil. »

Haïcourt n'avait pas perdu une miette de la fin du « Dit ». La suite il la connaissait.

Le retour des êtres de la forêt, le grand rassemblement autour des pierres séculaires, le banquet, les retrouvailles, les larmes de joie, toutes ces choses racontées aux veillées.

Les trous dans le récit, une impression de vide parfois, les questions sur des secrets encore scellés, il sentait que bientôt le voile allait être levé.

Yorik après le récit fit un long silence, chacun était à ses réflexions.

Plongeant une de ses mains dans la poche ventrale du grand tablier qu'il avait coutume de porter comme tous les gens de son rang, avec la lenteur d'un magicien en représentation, il sortit son poing fermé sans agressivité ni avarice.

Un geste de don, auguste dit-on du semeur.

Puis tendant sa main ouverte vers la petite assemblée assise en rond sur les bas-flancs de la yourte il leur dit avec autorité.

« Voici les Anneaux de la Grande Assemblée, mes pairs s'en sont allés vers les contrées lointaines où courent les chevaux du vent, où volent les aigles de l'éternité et nage le saumon vers sa source. Bientôt mes jambes ne pourront plus arpenter les chemins et les passages du temps. C'est le moment de passer le relais. »

« Haïcourt approche. »

Le garçon oubliant toutes fatigues malgré la nuit sans sommeil, la longue marche, le froid, la solitude s'avança vers le Maître du Temps.

La main de Yorik brillait d'or, sept chevalières semblaient entrelacées dans l'éclat du métal qu'on aurait cru en fusion.

De l'autre main, il en pris une.

« Avance ta main gauche Haïcourt. » dit-il avec la tendresse d'un père que le garçon n'avait jamais eu.

Il prit une des bagues pour la passer à l'annulaire de l'enfant, elle glissa comme par magie seule sur la troisième phalange. Sous les yeux étonnés des autres, la rune Ansuz de l'unité s'est mise à étinceler. Sous la chandelle du dôme le même signe s'alluma, une mélodie d'un autre monde semblait être perçue par tout le corps bien au delà des simples oreilles.

Tout prenait enfin sens.

Il fut ainsi des six autres anneaux, chacun le sien.

Les sept notes de la gamme dans une harmonie parfaite entrèrent en résonance avec les sept couleurs d'un arc en ciel irradiant sur les parois de feutre de la yourte tenant à distance les lames coupantes du gel matinal, les aiguilles de la fatigue dans les muscles raides.

Quand revenus de leur hébétude transcendante, ils se touchèrent pour savoir s'ils avaient rêvé : Yorik avait disparu.

 

43. Le « Dit » de la Sylve d’Émeraude . 6. Renard dort . IX . Revenus les rêves nus.

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M
Je relis avec plaisir ton beau texte et revois aussi les images Pierre !<br /> Bisous de mars 2014
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T
Un renard change de poil, non de caractère :)
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M
<br /> Quelle imagination fertile Pierre, tu m'épates ! <br /> <br /> <br /> Comment vas-tu, j'espère que cette pause n'augure que du bon pour toi et les tiens !<br /> <br /> <br /> Gros bisous<br />
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E
<br /> C'est un joli conte, Pierre. Bonne soirée<br />
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M
<br /> Moi je penses à la faim du renard et de ses renardaux et à cette parisette qui est si prècieuse, mais il faut du temps avant qu'elle ne mûrrisse... Vont-ils rester la faim au ventre ? Tes<br /> histoires sont bien étranges Pierre... Tu nous amènes dans un autre monde...<br /> Bises <br />
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J
<br /> Superbes photos Pierre !... et une lecture bien agréable une fois de plus, bonne journée c'est le printemps !<br />
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