Poésie Cubaine. Lire en espagnol.
Dans les années 2000 je suis allé parfois à des soirées de « lectures
poétiques » au Couvent des Minimes à Saint Martin d'Hères. Je trouve que ça fait loin pour flatter mon
ego. Les « poètes » sont par nature soit plutôt solitaires, soit, extravagants dans un groupe, porteurs d'un masque, grotesques au risque d'en paraître
asociaux.
« Enfer ou Ciel qu'importe pour trouver du nouveau » on ne retient souvent que
cela dans la démarche de Baudelaire et sa mise en pratique peut être présomptueuse dans le cadre normalisé des réunions, éditions et manuscrits. Je peux en dire autant des phrases chocs comme les
titres de Rimbaud « Le bateau ivre » , « Une saison en Enfer ». Ces recueils ont accompagné les Kerouac, Ginsberg et Whitman sur les routes d'outre-atlantique. Mais, à moins
de finir comme un Poe, un Lovecraft et moins loin géographiquement comme Nerval, de nos temps on a grande chance de rester anonyme, « Que Diable ! »
Il est des mots ancrés qui ne sortent pas des ports d'eau douce, de Lamartine à Musset avec les accents surannés d'un romantisme
qui ne fait plus recette.
C'est ce genre de rencontres que j'ai voulu évité mais inlassablement les
« mordorés » ( rare teinte dont se colore un lac encore moins celui d'Aix-les Bains) , les cœurs de braise, les solitudes austères, les départs, les soirs rougeoyants, les
ciels bas, « les aubes où fleurit la campagne » sont venus s'accrochés (j'ai failli faire un lapsus de frappe en écrivant « s'écorchés », comme je tape parfois fêlure
pour fleur, lapsus proche d'une dyslexie digitale encore non répertoriée) à la liberté des phrases et la révolution des mots, barrant l'horizon comme les barreaux d'une prison, les murs d'une
Bastille vide d'or et de détenus mais pleine de sens.
Besoin d'air, de musique, de couleur, de costumes de Carnaval, de salsa, de reggaeton
pour marcher pieds nus dans le sable et danser autour d'un feu sur une plage de la Havane.
Changement de décor, et de référence, la poésie devient autre chose et depuis que j'ai
ouvert ce recueil je peux fermer mon « Lagarde et Michard ».
Ce cadeau est tombé à pic.
Comme chaque automne où dans le passé « avant la crise » nous allions passer
quelques jours en Espagne. En automne, j'ai dans les narines les parfums de l'Andalousie, les herbes sèches de la Sierra de Cazorla, dans les oreilles, le cri de « los buitres de la
Pedriza », dans les yeux les oliviers de Córdoba ou les étroubles de la Mancha à perte de vue quand la moisson est faite.
C'est facile de rendre heureux quelqu’un qui aime lire.
Cette année faute d'aller confronter mon castellano au catalan de la Cuesta del Sol , où
aux interrogations des clients d'un bar à tapas dans Los Gredos, je lis :
Poésie cubaine 1980-2000
Bacchanales N°24
Edition bilingue.
Couvent des Minimes
38400 Saint-Martin-d'Hères.
Et là, « O surprise ! », je découvre que le langage poétique même en
espagnol est loin du langage courant. Métaphores, oxymores, sous-entendus, prosonomasies (autres que les « Yayaya » qui peuplent les commentaires dans les réseaux sociaux mais pourtant
intraduisibles), les mots-valises qui se cachent d'autant plus que mon vocabulaire est réduit, une apocope introuvable dans un dictionnaire des années 70 où j'ai terminé le
lycée.
Je n'ai pas le droit de recopier des textes entiers et je respecte les « droits
d'auteurs ». Je m'en tiendrai au liminaire de José Martí qui n'entre pas dans l'anthologie des années 1980-2000 proposée par l'édition mais comme texte fondateur du mouvement moderniste
hispano-américain, par delà l'écriture, une main tendue à la fraternité, un espoir de lendemains qui chantaient encore.
« XXXIX
Cultivo una rosa blanca
En julio como en enero
para el amigo sincero
Que me da su mano franca
José Martí 1853-1895 (Versos sencillos)
Je cultive une rose blanche
Durant juillet comme janvier
L'offrirai à l'ami sincère
Qui me tendra sa franche main.
(Vers simples) »
Rose, fleur symbolique quand elle est rouge et posée sur la tombe de Jaurès, en devient
presque ridicule conjuguée par Brel, intemporelle dans les répétitions de Gertrud Stein aux accents si loin des Ronsard, Villon, Hugo qui faute d'être jardiniers et de la savoir éphémère
voudraient qu'elle soit éternelle comme la Femme.
En guise de jeu je ne proposerai qu'un vers tiré de :
« La página en
blanco » de Eliseo Diego
« no es ya el papel papel ni yo el que he sido. »
(Le recueil est une œuvre collective et de nombreux traducteurs ont participé à ce
florilège de Poésie Cubaine 1980-2000) .
Jean-Marc Pelorson, le traducteur de cet auteur dans l'ouvrage, nous propose
:
(je vous la livre bien sûr hors contexte)
« le papier n'est plus
ni moi comme avant. »
J'ai pris mon dico, mon ancienne grammaire espagnole , celle où un Don Quichotte est
peint par Picasso ! Je pense que Quichottine voit à laquelle je fais allusion.
J'ai retrouvé avec plaisir mon « Ya » sans la prosonomasie et trouvé qu'il se
traduit simplement pas « déjà », à moins qu'il n'accentue " bien" la
répétition du mot « papel » en annonçant l'allusion à l'identification de l'auteur par le « yo ».
Je ne resterais donc pas ce matin devant "La page blanche" ni « en blanco » en traduisant ce dernier vers moi-même
par :
« Le papier n'est déjà plus papier, ni moi ce que j'ai
été »